lundi 3 décembre 2012

17 Le besoin calinique pur


Quand le petit singe humain naît, il a besoin de câlins singes. S'il est entouré de ses parents déjà élevés comme des humains, il connaîtra des câlins « humanisés ». Ainsi, par exemple, quand j'étais petit, j'adorais que les grandes personnes de mon entourage me glissent une main sous mon vêtement en partant du col et la passent sur mon dos nu. Un beau jour, je devais avoir sept ou huit ans au plus, cet agrément s'interrompit soudain et sans motif visible. J'ai alors beaucoup souffert d'être ainsi subitement et inexplicablement privé de ce plaisir et n'ai pas eu l'impulsion de poser la question de pourquoi ce changement, ni demandé à ce qu'on continue à me caresser le dos.

Ce n'est que bien des décennies plus tard que j'ai compris pourquoi avait eu lieu ce changement. Initialement j''avais été considéré comme « petit » et avait eu droit à ces caresses du dos. Dès qu'on m'avait estimé devenu « grand » les caresses avaient cessé. Phénomène typiquement humain : les adultes ne se caressent pas entre eux ou guère. La caresse entre adultes paraît réservé au domaine de l'échange « sexuel » entre adultes et considérée comme une annexe secondaire de l'acte sexuel. On parle alors de « préliminaires » ou « postludes », encadrant « l'essentiel » : le coït. Les câlins « humanisés » de ce fait sont rationnés et insatisfaisants en regard de nos besoins singes.

J'ai grandi avec mes parents. D'autres en sont privés ou privés à moitié. Ou bien ils sont abandonnés, ou bien ils sont privés d'un de leurs deux parents.

La fringale câlinique du petit singe humain privé de parents, ou d'un de ses deux parents, est féroce. Elle est stimulée par le fait que, totalement privé des câlins des deux ou d'un parent, le petit singe humain conserve intact et sans l'identifier clairement, sa faim simiesque, son besoin câlinique pur. Qui correspond à une avalanche de câlins, comparée aux pauvres prestations câliniques habituelles chez les humains.

Quand on est ainsi privé de câlins, l'abandon ressenti est terrible. Rester les premières années de sa vie privé des câlins de ses parents, ou d'un de ses deux parents, est câliniquement extrêmement traumatisant. Et le petit singe humain qui grandit seul avec sa mère ou son père, développera un attachement passionnel pour le parent qui reste auprès de lui et rempli à lui tout seul les fonctions câliniques des deux parents.

Même quand la situation s'améliore, le traumatisme reste présent. J'ai croisé dans un jardin, il y a quelques années, un jeune couple français qui avait adopté depuis peu un orphelin roumain. Celui-ci avait grandi en orphelinat et en l'absence complète de câlins. Il avait alors environ un an. On sentait en lui un besoin compulsif d'être touché, caressé par tous. Quand il était dans les bras de son père adoptif et se trouvait près de moi, un parfait inconnu, il n'arrêtait pas de me tendre les bras pour solliciter des caresses. Son traumatisme, dont ses parents adoptifs m'ont parlé alors, était très visible, y compris dans sa manière implorante de me regarder.

Beaucoup de troubles dits « mentaux » chez les adultes seraient causés par des carences en câlins, qu'on subit souvent depuis l'enfance. On cherche à les traiter avec des médicaments, des entretiens. Qui osera un jour les traiter avec des caresses ? Deux fois, des personnes m'ont dit que j'avais raison, mais ne voyaient pas notre société aller dans ce sens, car pour la pensée dominante, la caresse entre adultes est et ne peut être que « sexuelle ». Donc on ne saurait l'utiliser comme outil thérapeutique. On traite de nos jours la carence câlinique ou ses conséquences avec des tranquillisants ou des paroles. C'est comme prétendre soigner une fracture avec uniquement quelques antalgiques ou une psychothérapie. Ça n'est pas suffisant, il faut aussi réduire la fracture et rendre sa guérison possible.

Basile, philosophe naïf, Paris le 9 novembre 2012

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