vendredi 7 décembre 2012

29 Essai d'esthétique simiesque

Une vieille sagesse arabe dit : « La beauté est dans l'œil qui regarde ». Ce sentiment peut avoir des origines variées. Ainsi, une amie me disait un jour devant un tableau d'un peintre naïf yougoslave : « j'aime ce tableau, car ce sont là exactement les couleurs de l'automne chez moi ». Une autre amie aimait les peintures de Miro parce que « elles les faisaient rêver ».

Existe-t-il une beauté originelle inscrite en nous ? A mon avis oui. Ce sentiment esthétique remontant à des temps où nous étions des singes libres et sans industries, cette esthétique simiesque, suivait les formes de la Nature sauvage dont nous faisions partie. S'agissant de l'espace de vie, j'y relève quatre éléments : L'horizonalité : les singes ont besoin d'avoir un horizon visible. L'alberité : ce mot est dérivé de l'italien « albero », qui signifie « arbre ». Les singes ne connaissent comme objets usuels les plus grands que les grands arbres. Donc, aucun bâtiment ne doit excéder la taille de ceux-ci. C'est pourquoi les petites maisons ont toujours plus de charme que les grandes.

La basilité : ce mot inventé également par moi est simplement dérivé de mon prénom. Il désigne un phénomène particulier qui n'a pas de nom. Dans la nature, rien n'est égal, rien n'est droit, rien n'est régulier. Chaque brin d'herbe est différent, même de manière presque imperceptible. Les lignes droites sont quasiment absentes, exceptées dans les gloires et sur les minéraux cristallisés en des formes régulières et géométriques. Ce phénomène était jadis pris en compte par les architectes. Ainsi, l'arche arrondi sous le premier étage de la Tour Eiffel est un ajout purement décoratif. Ce choix contraste notamment avec les ignobles ponts d'autoroutes dépourvus de tout arrondi avec lesquels on salit les campagnes du monde entier depuis des dizaines d'années. Sans l'analyser, ni l'identifier, la basilité est respectée dans la réalisation des célèbres carrés en soie Hermès. Leurs bords sont toujours roulottés à la main. Enfin, quatrième élément que je veux évoquer de l'esthétique simiesque : le phénomène de la clairière. Je l'ai remarqué en passant sous deux édifices parisiens aujourd'hui détruits, l'un au Jardin des Plantes, l'autre dans le 14ème arrondissement. Un immeuble formant une barre basse un peu comme un pont sous lequel on passe et découvre un espace dégagé qui suit, largement éclairé par la lumière naturelle. L'effet est saisissant. A l'esthétique singe, il faudra venir un jour, car la plupart des constructions actuelles, des mobiliers urbains et jusqu'aux enseignes de magasins réalisées aujourd'hui sont des erreurs esthétiques, des horreurs architecturales, des verrues, des ratages, des nullités sans âme. La plupart des immeubles édifiés depuis une cinquantaine d'années illustrent le degré zéro de l'esthétique. Beaucoup sont d'ailleurs aujourd'hui construits sans architectes. Un ordinateur calcule et cela suffit. Quand on regarde les réalisations actuelles, plusieurs règles anti-esthétiques caractérisent la monstruosité dominante.

Tout d'abord le géométrisme : tout en régularité, répétitions. La laideur institutionnalisée : des immeubles noirs, d'autres recouverts de carreaux genre salle de bains, l'horreur et la médiocrité.

Les architectes pistonnés, nuls et profiteurs qui remportent la plupart des grands chantiers ont fait de leur incompétence, leur nullité et leur mégalomanie à but lucratif, une nouvelle pseudo-esthétique. Le gigantisme remplace la créativité. On érige également des monuments coucous. C'est-à-dire des bâtis neufs à côté de merveilles anciennes. Un exemple de ce genre de parasitage est la chose élevée face à la merveilleuse et antique Maison Carrée de Nîmes. Le plus célèbre exemple parisien est la pyramide du Louvre. On détruit aussi des perspectives : les deux plus magnifiques de Paris, dans l'enfilade des Champs Elysées et du haut de la terrasse du Palais de Chaillot, sont à présent barrées par de gigantesques tas de béton. L'architecture actuelle persévère largement dans ces impasses. Si un jour l'esthétique simiesque sera reconnue, et cela arrivera, on détruira ou amendera toutes les laideurs, notamment architecturales modernes, qui enlaidissent notre monde.

Basile, philosophe naïf, Paris le 7 décembre 2012

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