lundi 7 janvier 2013

55 Se structurer en groupe par tous les moyens


Les singes humains ont besoin de se sentir partie d'un groupe. Pour lier les éléments du groupe ensemble, divers moyens peuvent servir de lien et liant. Cela peut être le sexe.

Ainsi, je l'ai lu un jour, en Bourgogne, des garçons peuvent faire un barlu. Ce terme d'origine régional désigne le fait de baiser en groupe une jeune fille consentante. Cette pratique existe en d'autres lieux. Un jeune homme rencontré en vacances en Ardèche, m'a raconté il y a une trentaine d'années s'y être adonné : « et à la fin, elle (la jeune fille), avait une bite dans le cul, une dans la bouche et une dans chaque main ! » Sa femme, qui entendait, s'est exclamée, écœurée : « celle-là, j'étais sûre que tu la raconterais ! »

Un célèbre acteur français racontant sa jeunesse expliquait une pratique similaire en 1957 à Châteauroux : pour faire partie d'une bande (je cite de mémoire), une fille devait accepter de passer à la casserole. D'abord le chef de la bande, puis tous les autres et enfin lui, le petit dernier, qui avait neuf ans.

Ce récit fait au début des années 1990 a valut à cet acteur une furieuse campagne puritaine menée contre lui aux États-Unis qui l'a privé d'être oscarisé.

Quand cette pratique sexuelle collective est organisée au détriment d'une jeune fille non consentante, elle prend le sinistre nom de tournante.

Mais une telle manière de faire se passe aussi de partenaire consentante ou non.

J'ai assisté à la projection d'un excellent film luxembourgeois où on voit, à un moment, une douzaine de garçons, de dos, alignés dans la campagne, pantalon ou culotte courte baissés, tous en train de se masturber. Cette scène paraissant inspirée par les mœurs réels des jeunes gens de là-bas. Il s'agit de plaisir collectif et solitaire.

Ces pratiques de sexualité collective soude un groupe sans doute plus par le fait de nier ensemble un interdit que par le plaisir éprouvé.

Cette violation de l'interdit, un policier de la brigade des mineurs m'en a parlé, il y a un quart de siècle. A son avis, le plus grand plaisir pour un drogué n'était pas l'effet de la drogue, mais le moment de préparer sa dose.

Une jeune femme m'a un jour raconté sa jeunesse. Habitant la province, rangée, mère de famille, travaillant à s'occuper de personnes âgées, ayant comme meilleure amie une femme gendarme, cette jeune femme avait vécu en banlieue parisienne plus de dix ans auparavant. A l'époque, loubarde, elle faisait partie d'une bande.

Cette bande avait fait de la violence en groupe un jeu ritualisé. Ainsi, elle provoquait la police en lui lançant des projectiles, puis elle profitait de sa connaissance de la cité pour fuir. Un jour, la jeune femme, pas assez rapide, s'était fait rattraper. Les policiers l'avaient laissé en paix. Haute comme trois pommes, elle ne risquait pas d'avoir caillassé la maréchaussée. Mais, m'expliquait-elle, si ses amis le faisaient, en aucun cas ne leur serait venu à l'idée de mettre la vie des policiers en danger.

Ses amis réussirent une fois à bloquer des CRS dans leur car. Loin de leur faire du mal, ils avaient alors secoué le car et, à l'intérieur, les CRS rigolaient !

Quand les gars de la bande incendiait une voiture, ce n'était pas au hasard. Il existait toujours une raison précise. Ainsi, c'était, par exemple, le véhicule de quelqu'un qui les harcelait et ne cessait de se plaindre d'eux.

La violence ainsi limitée faisait aussi lien et liant : agir ensemble et violer ensemble des interdits. En fait, elle structurait le groupe en groupe et permettait de rompre l'isolement individuel.

On rencontre cette manière de faire dans les luttes politiques. Dans les années 1970 dans les universités parisiennes s'affrontaient des groupes opposés dits d'extrême droite et extrême gauche. En fait, il était acquit implicitement de part et d'autre que si on se frappait, on ne le faisait pas trop fort. A la faculté de droit de la rue d'Assas il y avait même un important trotskiste, prénommé Olivier, qui était d'origine noble, et, de ce fait, jouissait de l'estime de ses adversaires !

Dans les années 1980, j'ai entendu dans une cafétéria universitaire une militante syndicale de l'enseignement racontant ses luttes à l'intérieur du syndicat. En analysant son propos, c'était ahurissant. Son but n'était en fait pas de parvenir à gagner, mais de combattre les autres. La lutte devenait le but et le résultat devenait secondaire. Une belle bagarre, c'était ce qu'il y avait de mieux et plus important. Ce genre de mentalité ne donne pas particulièrement envie de se syndiquer.

Quand, en 2002, Jean-Marie Le Pen est resté présent au second tour de l'élection présidentielle, une invincible coalition hétéroclite lui a fait barrage. On y trouvait gauche, extrême-gauche, droite et jusque, y compris les journaux Le Parisien et Le Figaro, et l'Église de France qui appelaient à voter contre lui. Il était évident dans ce cas qu'il ne pouvait que perdre. Pourtant eu lieu en plus une grande manifestation où un tas de manifestants manquèrent de périr étouffés tant il y avait de monde au départ. Durant cette période, je me suis trouvé dans le métro près d'un groupe de gens de retour d'une manifestation anti-Le Pen. J'entendais leur chef dresser un programme d'actions. Il était visible dans ses propos que, plus important que battre Le Pen, ce qui était certain d'arriver, pour lui, l'essentiel était de se battre contre Le Pen. La lutte devenait le but et plus son résultat. Ce glissement inconscient s'explique par le fait que plus le résultat de l'action, c'était l'action qui structurait le groupe, dont j'entendais le chef parlait. Et ce groupe, c'était un peu sa vie à lui.

Cette recherche du groupe se retrouve un peu partout, sans que ceux qui la mènent s'en rendent forcément compte. Le besoin d'être en groupe domine jusqu'au paradoxe. Ainsi, j'ai entendu un jour une conférence donnée par un vieux militant politique qui avait milité dans sa jeunesse et dans des conditions terribles et dramatiques pour l'indépendance de l'Algérie. A la fin du débat qui avait suivi la conférence, l'orateur s'était exclamé avec nostalgie : « ah, c'était une belle période de camaraderie, de lutte politique ! » Une amie qui m'accompagnait avait été choquée par ces regrets et m'avait fait remarquer : « il aurait du dire qu'heureusement cette période terrible était terminée. A l'écouter, on dirait qu'il la regrette ! » Effectivement, je pense qu'il la regrettait. Et que ce qu'il regrettait là était le temps où il faisait partie d'un groupe.

Une dame peu soupçonnable de sympathie pour le pouvoir politique en place en France sous l'Occupation allemande disait un jour devant moi : « il y a une seule chose que je regrette de cette période. C'est la solidarité qui régnait entre voisins. On dépannait son voisin par exemple en lui trouvant un sac de charbon... tout ça, trois semaines après la Libération c'était fini. » Mes parents qui avaient connu la même période et l'écoutaient approuvèrent ses propos. On peut aussi s'unir, se regrouper pour une autre raison : chercher à comprendre. Durant les événements de mai et juin 1968, au plus fort de la grève générale, plusieurs groupes de centaines de personnes, souvent pas très jeunes, se rassemblaient tous les jours sur les trottoirs de la place Denfert-Rochereau à Paris et discutaient de la situation. Je l'ai vu. La grève terminée le phénomène a cessé. Mais ici durant plusieurs semaines le besoin d'être en groupe avait rompu l'isolement individuel habituel à Paris.

Basile, philosophe naïf, Paris le 7 janvier 2013

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