lundi 14 janvier 2013

64 Comment faire revivre la fête vivante à Paris et ailleurs où elle a disparu


À l'instant où j'écris, nous sommes début 2013. Fin septembre prochain, cela fera 20 années que j'ai pris l'initiative de la renaissance du Carnaval de Paris. Je suis à l'origine de la réapparition de ses deux cortèges traditionnels. La Promenade du Bœuf Gras dont ce sera en février 2013 la 16ème édition et qui rassemble des milliers de participants. Et le Cortège des Reines des Blanchisseuses de la Mi-Carême, pour l'instant beaucoup plus modeste, dont la 5ème édition défilera un mois plus tard, le 10 mars. L'enjeu est important : faire revivre la plus grande fête populaire du monde. Le challenge est rude. Comment faire pour aboutir ?

Dès le début de mon action, j'ai pu établir que si la fête vivante existe, c'est parce qu'elle a une base organisée. Oui, mais quelle base ? Il m'a fallu 18 ans pour la retrouver : la goguette. Il s'agit d'un groupe festif et chantant organisant des réunions ponctuelles, tous âges réunis. Où on se décore avec insignes et rubans. On boit, mange, danse, rit, crée et pousse des chansons, déclame de la poésie.

Point fondamental à observer : un tel groupe est petit. Il ne doit en aucun cas dépasser 19 personnes. Sinon, dès qu'il atteint 20, même s'il reste formellement uni, il se casse en deux et va au devant de difficultés et crises internes. C'est ainsi que la quasi-totalité des goguettes ont disparu. Il y en avait des milliers en France. Aujourd'hui, la plupart des gens ne connaissent rien aux goguettes, pas même ce nom qui les désigne. Quand j'en parle, on m'évoque la chorale, parce qu'on y chante aussi, la guinguette, parce que le mot goguette y ressemble.

L'idéal est de se limiter à 12 personnes. La base de l'immense Carnaval de Dunkerque est formée de goguettes, appelées là-bas « sociétés philanthropiques et carnavalesques ». A part 3 ou 4 qui atteignent une cinquantaine de participants, toutes les autres n'en comptent qu'une douzaine.

Petit on est fort. Pas de problèmes de luttes de chefs, besoin de local, argent, logistique. On s'amuse. Finie la solitude urbaine ou campagnarde ! Et on rejoint le Carnaval quand il arrive. On lui donne force et authenticité. Ravi d'avoir retrouvé la goguette, puis son instrument musical de prédilection, le bigophone, je me suis lancé, il y a environ deux ans dans la propagation de ma découverte. J'avais retrouvé la clé de la fête populaire vivante, facile, agréable, pas chère, à la portée de tous.

Mais là, je me suis heurté à un mur invisible et mystérieux. J'avais beau parler de la facilité à créer des goguettes, de leur apport à la joie, mis à part une goguette créée par mon amie Alexandra, aucune réaction. Personne ne me suit. Quel est le motif de cette bizarre paralysie ?

J'ai enfin trouvé il y a quelques jours pourquoi mes interlocuteurs n'accrochent pas. Il s'agit d'une question d'identité.

A Dunkerque où prospère le Carnaval, on se sent Dunkerquois. On sait que le Carnaval s'inscrit dans l'histoire, le patrimoine et surtout l'identité de la ville. A la fin de la fête, on clôt la joie du cortège et ses chahuts par l'émouvante « Cantate à Jean-Bart » chantée à genoux, les mains derrière le dos. Ce chant est en fait « l'hymne national » de la ville !

Si on observe d'autres régions du monde où la tradition festive est vivante, l'identité de ses participants l'est également. Les Bretons qui dansent la gavotte dans leurs Fest-noz et Fest-deiz se sentent Bretons. Les Corses qui ont gardé la tradition des polyphonies se sentent Corses. Les Basques, au riche patrimoine folklorique vivant, se sentent Basques. Et les Berrichons, Auvergnats, Landais ou Alsaciens, avant d'être organisés folkloriquement, se sentent de cœur Berrichons, Auvergnats, Landais ou Alsaciens.

Et les Parisiens si fiers soient-ils, quelle identité ont-ils ? Ils n'en ont plus.

L'identité parisienne n'en est plus une. Elle est cosmopolite et proche de celle d'habitants d'autres grandes villes de par le monde. On s'habille pareil à Pékin, Moscou, New York ou Tokyo. La base du costume est la même. La musique et les danses parisiennes ? Elles n'existent plus. Où sont, entre autres, nos célèbres quadrilles que dansait le monde entier ? Qui se souvient de Jullien, Musard et du cancan des origines ? Et la cuisine parisienne où est-elle ? Elle existe, mais n'est guère connue du public parisien. 

Quant à l'identité locale de quartier, par exemple de Belleville, Ménilmontant, Montparnasse, la plupart du temps elle s'est dissoute dans la spéculation immobilière qui a chassé 800 000 Parisiens vers les banlieues. C'était les plus pauvres habitants et les plus vivants.

On m'a déjà dit de façon pas aussi claire qu'aujourd'hui pour moi : « Faire un Carnaval de Paris ? Mais, maintenant ce n'est plus comme jadis. Il y a des habitants mélangés d'origines multiples. Il n'y a plus de vrais Parisiens. » 

Je rétorquais : « Oui, mais justement, toutes ces cultures vont enrichir notre fête. Les Brésiliens, les Africains, les Chinois amèneront leurs musiques, danses, traditions festives qui enrichiront notre fête ! »

Oui, c'est vrai. Et depuis plusieurs années on voit, par exemple, des groupes musicaux latino-américains défiler au Carnaval de Paris. Impressionnants au point qu'une jeune fille témoin du défilé une année m'a dit qu'elle avait cru que c'était une fête latino-américaine.

Mais l'identité parisienne, ou plutôt d'Île-de-France, dans tout cela ? Quelle place lui revient ?

Il faut qu'elle renaisse.

Jadis prospéraient les danses, costumes, plats cuisinés d'Île-de-France. La centralisation politique de la France, qui a nuit aux traditions des provinces, a très largement détruit celles de la région parisienne.

Il est temps de faire renaître l'identité francilienne.

En s'inspirant des costumes folkloriques traditionnels d'Île-de-France, créer les costumes franciliens du XXIème siècle. Remettre en activité le folklore francilien, ses promenades, sa cuisine, sa musique et ses danses.

On a déjà vu renaître un folklore local, celui de Cornouailles. La langue cornique elle-même n'était plus parlée. Des militants comme la chanteuse Brenda Wooton ont contribué à la faire revivre.

Frédéric Mistral, avec le mouvement du félibrige, a redonné vie à la culture provençale qui s'éteignait. En 1950, mes parents ont rencontré à Gerde, dans les Pyrénées, une vieille dame poétesse : Philadelphe de Gerde, membre de ce mouvement. Celle-ci leur a dit : « Oui, on peut être Français. Mais pour cela, il faut avant avoir une autre identité : Bourguignon, Provençal, Normand... et ensuite seulement, on peut être Français. »

Mes parents étaient Russes. Un jeune gendarme m'a dit un jour : « Toi, tu es un Russe de langue française. » C'est vrai. Je suis un Français Russe. Comme d'autres sont Français Normand, Français Auvergnat, etc.

Pour que revivent les goguettes à Paris, il faut qu'elles s'inscrivent dans la culture régionale francilienne, aujourd'hui pratiquement éteinte et effacée et demain ressuscitée. C'est ce à quoi je m'emploierais. Ce sera aussi la clé de la renaissance pleine, vivante et prospère de la tradition du Carnaval de Paris et de la fête parisienne en général.

Basile, philosophe naïf, Paris le 11 janvier 2013

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