mardi 15 janvier 2013

68 L'actuelle agitation à propos du « mariage pour tous »


Ces derniers mois, dernières semaines, un tapage invraisemblable s'est fait en France autour du projet d'étendre le mariage entre deux personnes de sexes opposés au mariage entre deux personnes de même sexe. Ce genre de mariage existe déjà dans les pays scandinaves, au Portugal et en Espagne. Pourquoi tant de bruit ?

On voit à cette occasion l'Église catholique se mobiliser pour défendre le mariage civil en l'état où il est, c'est-à-dire hétérosexuel, alors que le mariage civil a été institué en France contre elle. Avant, c'était les curés qui enregistraient les naissances, décès et mariaient les gens.

Et les politiques se positionnent bruyamment pour ou contre. Le gouvernement français, dit de gauche, qui s'est fait une spécialité de céder en tout à ses adversaires, prenant ici l'air martial pour proclamer qu'il appliquera son programme concernant le mariage homosexuel. Alors que par ailleurs, sur des sujets sensibles et importants il a partout capitulé. Au point que le PCF en a fait dernièrement un clip comique de nouvelle année qui a mis en fureur les dirigeants du PS.

Concernant cette histoire de mariage, que signifie cette exception et cette mobilisation presque générale pour ou contre ? Serait-ce du fait du caractère particulier, intime, de la question posée, ou pour une autre raison ?

Des débats en France sur des questions touchant à la sexualité, depuis les années 1960, il y en a eu un certain nombre : l'éducation sexuelle, le monokini, la contraception, l'avortement, le pacs et, aujourd'hui, le « mariage pour tous ». Sans compter d'autres, tel que, par exemple, le remplacement du concept juridique de « chef de famille » par celui d'« autorité parentale ».

L'éducation sexuelle à l'école

Dans les années 1960, la société française était infiniment plus puritaine, machiste, pudibonde et hypocrite qu'aujourd'hui. Il suffisait que paraisse une photo de Brigitte Bardot dont on voyait juste les épaules nues, qui suggérait que les seins l'étaient également, pour exciter les hommes. Quand le débat s'est ouvert sur l'éducation sexuelle à l'école, celle-ci brillait par son absence dans les familles. Quantité de jeunes gens et jeunes filles parvenaient à l'âge où ils étaient en état de procréer, en ignorant tout des « mystères de la vie ». Certains imaginaient des théories fantaisistes. L'acte sexuel consistant à pénétrer la femme par le nombril. L'enfant nouveau-né sortant par l'anus de la mère...

Moi-même, je n'étais pas le dernier à imaginer des explications à ma façon. Nous avions reçus en premier une peur panique de faire « tomber enceinte » les jeunes filles. Je dormais dans un lit sous le lit à étage de ma sœur. Ma mère m'avait expliqué que, quand une femme est enceinte, elle commence par être très fatiguée et il y a des signes caractéristiques qui ne trompent pas. Je m'imaginais ces signes comme des sortes de marques mystérieuses apparaissant sur le visage. Un code secret et terrible qui valait dénonciation publique à la société de la calamiteuse grossesse non désirée et de l'infâme auteur de celle-ci, qui pourrait un jour être moi. J'en avais peur d'avance.

Voilà soudain que ma sœur a commencé à être inexplicablement fatiguée plusieurs jours de suite. J'ai alors réalisé, paniqué : « ça y est, avec mes pensées, le soir, dans mon lit, juste au dessous d'elle, je l'ai mise enceinte ! » Bien sûr, je n'ai rien avoué de l'existence de mon acte honteux. Je me demande à présent quel genre de pensées « sexuelles » pouvais-je avoir, tant mon ignorance était grande sur ce sujet. Ma « sexualité secrète » se limitant à contempler en cachette le soir, à la lumière d'un boitier électrique de poche, sous la couverture, deux pages de bandes dessinées du journal Vaillant, où on pouvait admirer deux jeunes filles. Mon admiration ignorante me conduisant à rêver d'en devenir une, tellement elles étaient belles ! Il s'agissait d'une page de « Ragnar le Viking » et une autre d'« Yves le Loup ». C'est la première fois de ma vie que je trahis mon secret d'enfance.

J'avais soustrait les deux documents « coupables » à l'attention de la famille et les conservais pliés sous mon oreiller.

Je n'étais pas le seul à être aussi loin de la réalité. Les petits singes que nous sommes, maintenus dans l'ignorance par la dés-éducation sexuelle consistant à leur cacher tout, se comptaient par millions. Au point qu'il arrivait que de très jeunes filles se retrouvaient enceintes sans avoir conscience de ce qu'elles avaient fait de précis pour y arriver. Ignorantes ou non, les très jeunes filles enceintes étaient soustraites à l'éducation normale, publique ou privée. Elles se retrouvaient dans des institutions où on leur apprenait notamment à repasser des chemises masculines, afin de les préparer à l'exaltant statut d'esclave domestique, c'est-à-dire, « femme au foyer » ou « mère de famille ». Quand ma mère, qui élevait quatre enfants, devait remplir un formulaire administratif, à la question : « Profession : » elle indiquait : « sans ». Elle travaillait du matin au soir pour la famille, ce qui signifiait donc qu'elle était « sans profession ».

J'ignore pourquoi, dans la France des années 1960, on s'est mis subitement à parler de « l'éducation sexuelle ». Il faut expliquer aux enfants comment on fait les enfants. Comme en Suède,  pays à l'époque réputé salace où existait déjà l'éducation sexuelle à l'école. Qui formait de grandes et belles filles blondes aux yeux bleus sujets d'abondants fantasmes. Cet exemple titillait peut-être la mauvaise conscience des adultes cachant à leurs enfants ce qu'ils savaient forcément.

Le débat français a suscité un concert de hurlements indignés : « comment ? Ce n'est pas à l'école d'expliquer aux enfants comment on fait des enfants. Il appartient à la famille, aux parents de le faire ! »

Seul hic, les parents ne le faisaient généralement pas.

Le débat s'est enlisé dans ce genre de polémiques stériles : « il faut que l'école... » à quoi les autres répliquaient : « il appartient à la famille... »

Je ne l'ai pas suivi. On m'a dit, bien plus tard, qu'à l'école avait été introduite la fameuse « éducation sexuelle ».

Elle ne devait probablement pas aller très loin, du moins, à ses débuts.

Le monokini

Le sexe, dans notre société d'arriérés mentaux, c'est d'abord le corps féminin. Forcément, c'est sale. C'est le pêché, même si c'est bon. Et le pêché, c'est Ève, pas Adam. Il n'y est pour rien. C'est Ève qui l'a provoqué en lui offrant la pomme. Et, chez la femme, quoi de plus « sexe » que les nichons ?

Entre autres hypocrisies, notre société a imaginé le terme « soutien-gorge ». Ils cachent forcément toujours les seins. Quand j'étais petit, dans les années 1950-1960, les petites filles n'en portaient pas. Et quand il faisait chaud, jouaient dehors torse nu. Les enfants vraiment petits étaient alors tout nus. A présent, ils ont tous généralement des culottes et les fillettes portent des « soutiens-riens ».

Le sein était le comble de l'érotique. On n'imaginait guère montrer plus bas en public ou en photo. Et voilà qu'au début des années 1960 un grand émoi annonça l'arrivée du « monokini ».

Des créateurs de vêtements de bains avaient imaginé une tenue assez laide : une sorte de culotte remontant assez haut sur le ventre, soutenue par deux bretelles croisées et laissant la poitrine à l'air !

Le débat s'ouvrit aussitôt : pour ou contre l'autorisation du « monokini » ? Et aussi : est-ce légal ?

Je me souviens d'articles de journaux. L'un montrait une jeune fille sur la plage de Cabourg, seins nus magnifiques et portant juste un bas de bikini. Il y avait aussi la photo du maire de Cabourg, Monsieur Thiers, descendant d'Adolphe Thiers, l'exterminateur de la Commune. Le maire déclarait que la vue des seins de la jolie fille sur la plage de sa ville ne le dérangeait absolument pas.

On interrogeait le mari de la dame : « Ça ne vous dérange pas que d'autres hommes puissent voir les seins de votre femme ? »

Plusieurs fois, on vit rappeler dans la presse, qu'en 1938, une trapéziste avait fait son numéro de trapèze seins nus, avait été poursuivie en justice et acquittée.

On s'est aperçu alors qu'aucune loi n'interdisait l'exhibition publique des mamelles féminines.

Qu'à cela ne tienne ! Sans craindre le ridicule, on en pondit une.

Et voilà, exit le monokini.

Ce n'est guère qu'au début des années 1980 que les dames ont commencé à pouvoir faire un peu partout en France ce que les messieurs se sont autorisés à faire depuis 1914 : se mettre la poitrine à l'air sur la plage.

La contraception libérée

En 1950, un savant catholique américain du nom de Pincus inventa la pilule contraceptive. Elle resta interdite en France jusqu'en 1967. La loi Neuwirth, du nom de son auteur, ne connu ses décrets d'application que sept années plus tard, en 1974. Durant les quelques années qui précèdent 1974, il fallait passer par des filières occultes pour s'en procurer. Les membres du corps médical y avait accès. Les dames qui en cherchaient se rapprochaient, par exemple, d'une infirmière.

Quand la pilule est devenue légale, une grande campagne s'est développée sur le thème : « elle donne le cancer ». Jusqu'à ce qu'en 1983 certaines études affirment l'inverse. Elle aide à prévenir certains cancers en diminuant la ponte ovulaire. Je cite de mémoire.

J'ai été étonné par le propos de certains hommes qui se plaignaient de l'arrivée de la pilule autorisée en écrivant que les femmes les privaient en la prenant d'un pouvoir essentiel : celui de décider du moment de l'arrivée de l'enfant !

L'avortement légalisé

Le débat pour ou contre la légalisation de l'avortement fut biaisé dès le début.

En effet, ses adversaires faisaient comme si légaliser l'avortement le ferait apparaître en France.

Alors qu'il existait déjà à très grande échelle, mais dans l'illégalité et souvent avec des conséquences graves, voire dramatiques.

Les opposants à la légalisation de l'avortement refusaient de voir la réalité et continuaient à marteler qu'il ne fallait rien changer sous peine de causer une hécatombe d'enfants (lisez : de fœtus).

Le plus beau dans cette affaire, est que certains qui avaient été opposés à la libération de la contraception quelques années auparavant, arguaient à présent que la contraception libre permettait justement d'éviter l'éventuel avortement et donc qu'il ne fallait pas l'autoriser.

L'avortement fut finalement autorisé, sous la pression des partisans de sa légalisation. Le gouvernement faisant semblant d'avoir librement choisi d'aller dans leur sens. En évitant ainsi de perdre une part de son autorité visible.

Le pacs

Que de hurlements indignés l'arrivée du pacs n'a-t-il suscité ! Aujourd'hui, il est entré dans les mœurs en France. Quand il est apparu, c'était un truc d'homosexuels, à en croire ses adversaires.

Quand on lit la biographie officielle du lieutenant français, pilote d'hélicoptère, qui vient de mourir au combat au Mali, on y apprend qu'il était pacsé, père d'un enfant.

Au vu de tels éléments, on imagine mal les ennemis d'hier du pacs ressortir aujourd'hui leurs arguments dénigreurs.

Le mariage pour tous

Et nous voilà arrivé au débat et aux remous autour du mariage homosexuel, rebaptisé « mariage pour tous ». Pourquoi tant de bruit ? La vraie raison, la voici :

Aujourd'hui, la France est gouvernée, avec parfois des changements au niveau des dirigeants, au moment des élections, par un bloc libéral qui comprend : une large partie de la gauche, la droite presque en totalité, l'extrême droite, les syndicats CGC, CFTC, CFDT et, à la tête du tout : le MEDEF, qu'on appelle aussi parfois : « les banques », « les marchés », « les créanciers de la dette ». En face on trouve, plus ou moins d'accord ou pas ensemble : le Front de Gauche, quelques petites organisations d'extrême gauche, quelques souverainistes de droite, la CGT et FO.

C'est, en gros et en résumé, la situation actuelle. Sur l'essentiel, les parties du bloc libéral se retrouvent d'accord. Par exemple sur la disparition du CDI, largement amorcée avec les Accords de Wagram, qui viennent d'être signés entre le MEDEF et les syndicats CGC, CFTC et CFDT.

Nous sommes dans un pays où il y a des élections et des électeurs. Si on veut les voir continuer à voter en majorité pour le bloc libéral que commande le MEDEF, il faut que les électeurs, sans le savoir, n'aient en fait qu'un choix : « libéral ou libéral ». C'est-à-dire, PS ou UMP. Mais quand PS et UMP votent ensemble la TSCG au Sénat, sont visiblement d'accord sur tous les sujets essentiels, comment donner aux électeurs l'illusion qu'ils choisissent autre chose que « libéral ou libéral » ?

Réponse : en stimulant artificiellement des conflits comme celui sur le mariage homosexuel.

Ainsi, pour pas cher, le gouvernement dit « de gauche » fait semblant de s'opposer radicalement à « la droite ». Alors qu'en fait, pour toutes les décisions importantes, gauche PS et droite UMP se ressemblent comme deux gouttes d'eau. On invente une lutte soi-disant essentielle qui ne touche pas aux sacro-saints tabous et fétiches économiques. Qui laisse les petits à la merci des gros. Les prix qui dansent, les logements inaccessibles car trop chers, les emplois détruits, délocalisés... la vie vivable qui s'en va. On va, on a déjà commencé à nous transformer en crève-la-faim. Mais, non, il y a plus important : le mariage pour tous ! Ainsi, chacun joue son rôle : gauche ou droite. Et l'attention du public est détournée des grandes questions économiques vitales qui le concernent.

Basile, philosophe naïf, Paris le 15 janvier 2013

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