dimanche 6 octobre 2013

156 Pourquoi l'épidémie de séparations et divorces ?

Aujourd'hui 40 % des mariages français finissent en divorces. Les unions libres non comptabilisées officiellement et très nombreuses sont réputées se défèrent pour un oui ou pour un non. C'est une véritable épidémie.

Et pourtant le mariage, l'amour a la côte. Comment expliquer ces innombrables séparations ?

Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière, il y a un demi-siècle environ.

Comment était alors la société française ? D'où venons-nous ?

D'une société dominée par l'église catholique depuis des siècles. Pour celle-ci, traditionnellement, l'acte sexuel c'est « le pêché de chair ». Quand bien-même serait-il réalisé y compris entre partenaires adultes, consentants, de sexe opposés, mariés et en vue d'avoir des enfants et non de rechercher quelque plaisir que ce soit, dans l'obscurité, brièvement et en évitant de se déshabiller.

L'acte sexuel est défini comme sale, bestial, avilissant, ignoble, dangereux, plus masculin que féminin. En revanche, s'abstenir est beau, pudique, pur, propre, chaste. L'absence de rapports sexuels est qualifié élogieusement comme « la virginité ».

A l'homme est accordé la circonstance atténuante de « besoins ». Tandis que la femme qui aime ça est une trainée.

Durant le service militaire obligatoire alors, les jeunes hommes voient leur alimentation additionnée de bromure, censé calmer leurs ardeurs sexuelles. En d'autres circonstances, pour « le repos du guerrier », les militaires en campagne bénéficient de la venue de « BMC » : « Bordels militaires de campagne ». On en voit un dans le film R.A.S. d'Yves Boisset, qui se passe en 1956 durant la guerre d'Algérie.

Très officiellement, l'Eglise annonce que Jésus est « conçu sans pêché », c'est-à-dire sans coït. Et Marie, qui l'enfante est « la Vierge », ou encore « l'Immaculée Conception ».

Les enfants sont sensés être « innocents » et ignorer tout de la sexualité.

Les nombreux viols intrafamiliaux sont niés. Et les livres qui mentionnent ceux-ci précisent qu'ils ne se rencontrent que dans des sociétés lointaines et primitives.

La pornographie reste confinée étroitement. Possèder, produire, vendre des images, photos, textes, films qualifiés de « pornographiques » expose à la honte, l'amende, la saisie, l'interdiction.

Un roman où est décrit l'acte sexuel se fait saisir. Dans les ouvrages d'anatomie pour étudiants en médecine, il arrive que le clitoris soit absent des planches figurant l'appareil génital féminin.

Quantité de personnes ignorent durant toute leur enfance comment se conçoivent les bébés.

La contraception et l'avortement sont interdits. Les femmes qui arrivent à l'hôpital suite à un avortement bricolé qui a mal tourné, sont insultées, humiliées et torturées. C'est-à-dire que « pour leur apprendre la vie » elles sont curées à vif avec le refus du secours de l'anesthésie.

Voilà quelle est la base de la sexualité générale de la société française jusqu'au début des années 1960.

La contraception orale inventée aux États-Unis en 1950 est interdite jusqu'en 1967 en France. Les décrets d'applications de la loi l'autorisant chez nous ne sortent qu'en 1974. Mais sans attendre, autour de 1968 les digues anciennes et vermoulues de la pesante morale traditionnelle se rompent. Déferle alors un ras-de-marée revendicatif de liberté.

L'interdit d'hier, la prohibition de tout, se voit remis en question par l'inverse : la liberté, l'autorisation, l'encouragement de tout ce qui était jusqu'alors interdit.

Une affiche dans le métro à cette époque vantait des réductions de tarifs de transports pour les jeunes. On y voyait un jeune homme et une jeune fille abstraitement dessinés, partant en voyage, chacun portant une valise.

J'ai vu un exemplaire de cette affiche rectifié par une main inconnue. Les deux visages en silhouette avaient été dotés chacun d'un regard et un sourire. Sur la valise du jeune homme avait été inscrit : « capotes ». Sur celle de la jeune fille avait été ajouté : « pilules ». Et un ballon additif attribuait aux deux jeunes gens cette exclamation joyeuse jaillie du cœur : « on va enfin pouvoir vivre ! »

« Enfin pouvoir vivre ! » Tel était le credo de beaucoup dans ces années-là. Que certains baptisèrent « la révolution sexuelle ». Enfin pouvoir vivre paraissait signifier « enfin pouvoir baiser sans limites ni contraintes ». « L'amour libre » promotionné alors signifiant de baiser le plus possible, le plus souvent possible, avec le plus grand nombre de partenaires possible et même éventuellement en groupes.

J'ai eu vingt ans en 1971. Je n'ai jamais pu me faire à ces discours qui se proclamaient « émancipateurs ». Bien qu'abusé par ces propos, je n'arrivais pas à m'y soumettre. Draguer signifiant pour moi résumer la jeune fille à un vagin et moi à un pénis. Cela me paraissait faux. Quand une jeune fille me draguait ouvertement, je ne réagissais pas. Soit que je ne comprenais pas son jeu. Soit plus rarement que je comprenais et refusais d'y entrer. Parce que cela aurait froissé mon authenticité. J'avais aussi mes problèmes psychologiques. Et mon éducation traditionnelle, qui ne se retrouvait pas dans ces situations nouvelles où la fille osait proclamer un désir.

J'ai traversé ces années sans m'impliquer dans les relations ou simili-relations que vivaient les jeunes gens et jeunes filles autour de moi. Les discours encourageant la drague pure et dure, même tenus par des jeunes filles, je n'arrivais pas à y souscrire.

En 1981, une jolie fille grecque m'a choqué en me déclarant que lui mentir pour la draguer était normal. Qu'elle trouvait ça tout à fait normal. Moi, je refusais le mensonge en général. Or, comment draguer sans mentir ?

Quand bien-même je croyais théoriquement que draguer pouvait être bien, je n'arrivais pas à atteindre le cynisme suffisant pour additionner des « conquêtes ». Comme je voyais faire certains dragueurs particulièrement doués pour ce genre de chasse.

Dans les années 1970, ce fut le sommet de cette « libération ». Le sexe devenait une activité ludique au même titre que la pétanque ou la pêche à la ligne, mais plus attractive bien sûr. Les propos en faveur de la liberté totale fleurissaient. En 1977, on vit même publier une pétition signée par des personnes fort illustres revendiquer la liberté d'entretenir des rapports sexuels adultes-enfants. Les petites annonces du journal Libération étaient célèbres pour leur crudité sexuelle.

Et puis ce fut le coup de tonnerre de l'arrivée du SIDA. Qui ne fut d'abord pas pris au sérieux. Coluche déclara un jour que le SIDA « c'est la maladie qu'on attrape dans le journal ». On plaisantait à propos du SIDA. Ou, au pire, on en parlait comme du « cancer gay », réservé aux homos. Et puis ce fut la panique générale. Sexe = mort paraissait la nouvelle équation dominante.

Les années ont passé. La trithérapie est arrivée. Où en est-on à présent en France ?

Question liberté ça s'est un peu calmé. On vante partout le sérieux, le mariage, la fidélité. Et même aujourd'hui des femmes ou des hommes peuvent se marier ensemble !

Mais il y a un nombre invraisemblable de séparations, pourquoi ?

La raison, il faut la chercher dans les années 1960. On n'a pas idée à quel point la société française de l'époque telle que je l'ai connu était barbare et arriérée, s'agissant de la « sexualité ».

C'est bien simple, dans la famille où j'ai grandi, comme dans énormément d'autres, la sexualité était totalement niée. On faisait comme si elle n'existait pas. Et si elle était mentionnée, c'était comme une chose abominable et mystérieuse. La bonne éducation était une « éducastration ».

J'aimais bien enfant les albums de Tintin. Sans réaliser qu'ils ignorent le sexe. Les femmes-même sont absentes, ou moches et caricaturales. La Castafiore, cantatrice, et sa soubrette, Irma, n'ont rien d'attrayantes physiquement. Et Tintin est un eunuque. Il n'a aucune vie sentimentale.

Vers l'âge de douze-treize ans, je ne sortais pratiquement qu'accompagné par ma mère. Et commençais à m'émerveiller au passage de très jeunes filles du même âge que moi. Sans idées autres que les trouver merveilleusement belles, je me retournais systématiquement sur leur passage. Et un jour, j'entendis ma mère déclarer d'un ton dégouté, pensant que je n'entendais pas, et parlant de moi : « il est en chaleur ! » J'en ai été choqué. Et, bien sûr, n'ai rien dit.

Nous habitions en famille un atelier d'artistes avec loggia. Un soir, dans la loggia, je chatouillais les pieds de ma sœur, qui réagissait bruyamment. Soudain surgit ma mère, qui avait monté l'escalier à pas de loup et paru furieuse de surprendre une scène bien innocente. Mais moi, j'ai bien compris qu'elle cherchait à me surprendre chatouillant le sexe de ma sœur. Cette suspicion, cette ruse pour nous surprendre, m'a fortement contrarié. Et je n'en ai, une fois de plus, dit mot à personne.

Quand les grandes personnes évoquaient au passage, sans précisions, des choses sexuelles, enfant, je n'avais droit à aucune précisions si je posais des questions. C'était le plus complet black out. Un jour mon père disait que du temps où elles étaient autorisées, les maisons de tolérance de luxe installaient leurs clients dans un trône, d'où ils regardaient défiler les prostituées au son de musiques. « Mais alors, dis-je, c'était exactement comme au music-hall ! » « Non, me répondit mon père, car elles faisaient des choses. » « Quelles choses ? » Interrogeais-je. « Des choses, des choses !... » fit-il, très ennuyé et sans plus de précisions.

Je lisais un jour un livre sur les traditions folkloriques françaises. Il y était indiqué que les chemises de nuit étaient je ne sais plus dans quelles provinces et il y a longtemps « pourvues d'un trou judicieusement disposé. » Comment ai-je deviné qu'il voisinait le sexe ? Je me le demande. Mais, ce trou, pourquoi faire ? J'interrogeais mon père. Lui lisait le passage du livre. Il éluda la réponse. Ainsi allait la « des-éducation sexuelle »... Et arrivé à un âge où le sexe commence à vous travailler, il fallait voir à quel point la société niait celui-ci.

Dans les années 1960, une photo de notre célèbre sexe symbole Brigitte Bardot la montrait de face, les épaules nues, dépassant de derrière un drap accroché à une corde à linges. On apercevait à peine l'amorce de sa poitrine. Eh bien, cette photo était à l'époque sexuellement terriblement bandante, super excitante. Elle suggérait qu'elle était torse nu ! C'était une vraie bombe atomique sexuelle !

Autre objet sensuel majeur à l'époque : les genoux des filles ! Les jupes les cachaient systématiquement. Quand au début des années 1960 la minijupe est arrivée, découvrant les genoux, ce fut une révolution ! Je me souviens, je devais avoir environ treize ans. Dans le métro, une grande jeune fille s’assoit devant moi, les genoux à l'air. Fasciné, je reste les yeux scotchés sur ses genoux !

En juin 1964, la présentatrice de la télévision française Noële Noblecourt fut licenciée. Le motif officiel invoqué par son employeur fut que : elle avait laissé voir ses genoux à l'écran !

Et le sexe dans tout ça ? Il existait malgré tout. Mais combien peu et caché. A treize ans j'ai connu des voisins, dont Christine, une fillette de cinq ans et Évelyne, une fille de mon âge. J'habitais avec ma famille 28 rue de la Sablière à Paris. L'été, je restais dans la cour. Il m'arrivait de parler avec elles. Elles étaient au 26, dans leur cour, séparées de moi par une grille.

Un jour, je me trouve seul dans la cour avec Christine, de l'autre côté de la grille. Elle prend un air mystérieux et me dit d'approcher de la grille. Approcher encore... et soudain glisse sa main à travers la grille et me touche le bas-ventre ! J'ai pris peur et suis parti en courant. Puis, me retournant, j'ai aperçu Évelyne, qui de sa fenêtre observait la scène. J'en ai conclu qu'elle avait envoyé Christine en service commandé. C'est la première fois que je raconte cette histoire qui n'a eu aucune suite.

C'est seulement quand j'ai eu 22 ans que j'ai pour la première fois pu voir comment était le sexe féminin, en regardant celui de ma première petite amie. Sinon, j'ignorais comment étaient faits les femmes.

La société dans son ensemble était castrée. Quand elle s'est dé-castrée, elle est partie d'un extrême à l'autre.

Pourquoi s'est-elle dé-castrée ? Très certainement parce que les femmes se sont mises en masses à avoir des activités rémunérées et acquérir ainsi leur indépendance matérielle. Leur dépendance des hommes : père, frère, fiancé ou mari, était la clé de voûte du système régissant la sexualité. Cette clé de voûte effondrée, le reste s'est décomposé. La libre contraception y a aussi beaucoup contribué.

Mais, au lieu de chercher l'authenticité, les individus libérés des règles anciennes se sont bornés à chercher à faire le contraire de ce qu'ils se sentaient contraints de faire auparavant.

Le sexe absent est devenu omniprésent. De la chasteté forcée on est passé à la baise tout azimuts. La « génération capote » est arrivée. Comme me le disait un ami, mort récemment : « ce n'est plus les bisous, c'est au lit tout de suite ! »

Et c'est là que la grande erreur a été commise. En croyant arriver à la liberté, on a inventé une nouvelle servitude. On est passé du sexe interdit au sexe obligatoire. Et pour l'épanouissement humain, passé le début du changement, paraissant prometteur, on a inventé une nouvelle servitude.

Quand deux individus se rapprochent, ils se font des câlins, des bisous. Mais, au lieu de suivre leurs désirs, ils transposent la règle du devoir conjugal dans la vie relationnelle câline : il faut absolument, on doit, c'est nécessaire, indispensable, bien et urgent de baiser. Sans pour autant éprouver de véritables désirs. On tue l'authenticité aussi efficacement avec des obligations qu'avec des interdits. Résultat, tout un tas de relations chaleureuses sont progressivement rongées par l'acide d'une sexualité artificielle et mal venue. Et les belles relations succombent, innombrables. Après avoir paru esquisser un avenir prometteur, elles finissent en divorces, séparations. Voilà la vérité.

Basile, philosophe naïf, Paris le 6 octobre 2013

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