mardi 19 novembre 2013

169 Le piège des mots

J'écoutais récemment un père s'extasiant sur sa fille. Il en parlait de la même façon que s'il s'agissait d'une épouse aimée. Il en était totalement amoureux comme d'une femme avec laquelle il voudrait faire sa vie. Certains en concluront qu'il sera très malheureux le jour où, adulte, sa fille encore aujourd'hui très jeune, quittera le foyer paternel. D'autres émettront l'hypothèse inquiète qu'il pourrait arriver un inceste au sein de cette famille, soit le viol de la fille par son père. Enfin, l'avis rassurant et banal de certains sera de dire : « il s'agit d'amour paternel, ça n'est pas du tout la même chose qu'un amour conjugal ! »

Tous ces avis passent à côté de la réalité. Cet homme aime sa fille comme une femme, tout simplement parce que l'amour est un. Et ce sentiment n'est rigoureusement pas « sexuel », c'est-à-dire devant déboucher forcément sur l'acte sexuel. On aime de la même façon, quel que soit l'objet qui suscite notre amour.

Ensuite, autre élément, indépendant du sentiment, existe les câlins, caresses, bisous, etc.

Enfin existe l'acte sexuel proprement dit.

Trois éléments qui ne s'opposent pas et sont entièrement indépendants. Chose qui généralement n'apparait pas clairement à la plupart d'entre nous, pris dans le piège des mots.

On a dit que la langue « est l'outil de la pensée ».

Que dire quand on use d'outils défectueux ? Par exemple d'une boussole qui indique le sud et pas le nord ?

D'une carte qui porte des indications erronées ?

Il en est ainsi du langage que nous utilisons. L'amour y apparaît découpé en rondelles : filial, maternel, fraternel, sororal, conjugal, sexuel, etc.

Les câlins sont subordonnés au « sexe ».

Et le sexe est sensé être au sommet de l'amour. On dit « l'amour », « faire l'amour », « les ébats amoureux », pour désigner la très prosaïque baise.

Et on se prend les pieds dans cette sémantique traître. Comme les traditions religieuses - et pas seulement judéo-chrétiennes, mais aussi d'autres religions, - condamnent le sexe, elles cherchent à y rattacher tout ce qui serait sensé y mener. Par exemple : la nudité, les caresses, les mots d'amour, le sommeil partagé dans un même lit, etc.

Le concept d'amour « physique », l'expression « faire l'amour », participent de cette terrible confusion. Et on croit devoir chercher « en premier » un amour comprenant sexe et câlins.

Ce qui revient à chercher dans un grand verger un pommier qui donne des pommes cuites. Si vous critiquez les chercheurs, ils vous rétorqueront : « comment, vous n'aimez pas les pommes cuites ? » ou : « les pommes cuites existent, j'ai vu des gens en manger ». Ce qui n'empêche pas que les pommiers portant des pommes cuites n'existent pas. Et que l'amour « tout en un » : sexe et câlins et sentiments d'extase en permanence à trouver dans la société n'existe pas non plus.

Basile, philosophe naïf, Paris le 19 novembre 2013

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