vendredi 22 novembre 2013

173 La journée de l'homme politique

L'immense masse de la population salariée se lève aux aurores. Jaillit de la tiédeur attachante de son lit dans le froid de la pièce pour courir se rendre au chagrin.

L'homme ou la femme politique se lève chaque jour à une heure humaine et raisonnable : vers huit ou neuf heures. Prend son petit déjeuner ou son café confortablement en épluchant avec intérêt la presse. Elle traite de sa vie professionnelle.

« Tiens ? Se dit-il, B a été promu ministre suite au dernier remaniement gouvernemental ? Ça tombe bien ! C'est un ami. Je vais lui téléphoner, ça favorisera ma carrière. Et W est nommé au Conseil d'État ? Mais qui c'est ce W ? Mais, bien sûr, c'est le cousin par alliance de X ! Quel malin, ce W, il démarre en beauté dans la politique. Voyons, mais c'est N à la page faits divers ! Il est poursuivi pour abus de biens sociaux ? Bien fait pour lui, il m'a toujours mis des bâtons dans les roues ! »

Et voilà démarré sa journée. Puis, l'homme ou la femme politique se rend à son travail. Vers dix heures il rejoint une mairie, le siège de son parti, sa permanence. Il retrouve des collègues et échange avec eux.

Puis, à midi, il va déjeuner. Un excellent repas en prenant son temps. Il n'est pas malheureux. Rien à voir avec une cantine d'entreprise. Là où il va, c'est un sympathique petit restaurant de quartier où tout le monde le connait. Il a ses habitudes et tutoie même le patron et certains habitués.

L'après-midi se passe vite. S'il n'a pas séance ou réunion, à dix-sept heures l'homme ou la femme politique est de retour à la maison : un appartement spacieux, acheté en toute propriété, ou un très vaste appartement obtenu en qualité de logement social.

La vie de l'homme ou la femme politique est paisible et agréable. Il peut être un homme ou une femme très sympathique. Défendre des idées et causes justes. Et y être sincèrement attaché. Le seul problème est que sa vie se déroule plus par rapport à la politique conçue comme une carrière professionnelle que comme un idéal. Ce qui facilite arrangements, compromissions.

J'ai connu un homme politique très sympathique. C'est seulement après bien des années que j'ai réalisé qu'en fait sa motivation n'était pas les idées qu'il défendait. Mais la vie confortable qu'il connaissait grâce à la politique. Il n'a jamais trahi personne. Mais il en faisait juste assez pour continuer à vivre son job. Et là est le problème. La politique ne devrait jamais être un métier.

Comme il paraissait bon, sensible et généreux, je lui ai parlé un jour du problème des SDF. Il m'a répondu : « ce n'est pas un problème facile à résoudre ». En fait, si ce problème ne lui paraissait pas facile à résoudre, c'est parce que pour lui son existence ne dérangeait pas sa vie, n'était en fait pas un problème pour lui.

Cet homme est mort depuis longtemps. Il y a à présent officiellement 150 000 SDF en France. Il serait facile de donner à chacun d'eux un minimum de quelques mètres carrés bien isolés du froid, comportant un chauffage, un lavabo, une douche, un lit, un placard, un téléphone, une plaque chauffante et des WC. Ce serait mieux que ces innombrables et misérables petites tentes où ces jours-ci les SDF grelottent en nombre dans les rues de Paris. Mais pour nos hommes et femmes politiques ce drame ne contrarie pas le cours de leurs activités professionnelles. Alors, ils ne cherchent pas à y remédier. Et c'est bien dommage. Car ce problème pourrait être réglé par eux en quelques semaines. A condition, bien sûr, de vouloir s'en occuper. Et s'en donner les moyens.

Basile, philosophe naïf, Paris le 22 novembre 2013

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