dimanche 8 décembre 2013

183 A propos d'à-priori

Il y a quelques décennies, une expérience fut tentée, je crois aux États-Unis. Sur une liste de candidats au mariage furent sélectionnés deux partenaires théoriquement idéalement accordés pour s'entendre. Les deux potentiels tourtereaux se virent offert une semaine de vacances ensemble, dans le meilleur cadre possible. On attendit le résultat. L'amour allait-il naître ? Les expérimentateurs en furent pour leurs frais. Certes, les deux potentiels tourtereaux passèrent une semaine agréable. Mais en aucune façon tombèrent amoureux. Les organisateurs de l'expérience restèrent perplexes.

Pourtant, l'explication existe. Il manquait à ces deux personnes au moins un aspect fondamental de la rencontre. C'est la rencontre elle-même.

Pour se rencontrer vraiment, il faut la découverte l'un de l'autre. La surprise de s'accorder... Là, la messe était dite. Dès le départ il était prévu, annoncé et connu que l'accord devait se faire, mécaniquement, automatiquement. La vie n'est pas si simple. Agir ainsi, c'est lui faire violence.

La méthode pour marier utilisée ici n'est pas nouvelle. Durant des siècles, elle fut employée pour les rois et les nobles en général. On listait les épouses potentielles et on négociait leur importation. Certes, des critères politiques d'alliance étaient fréquemment seuls suivis. Mais on peut supposer que ce n'était pas toujours le cas. Ce qui est certain, c'est que ces couples procréaient et ne s'aimaient pas. Il y a peu d'années, une commentatrice proférait joyeusement à ce propos une flamboyante ânerie : « ils finissaient par s'aimer ! La preuve, ils ont eu beaucoup d'enfants ! »

La manière la plus efficace d'empêcher une rencontre de se faire est de la prévoir d'avance. L'imaginer. Au lieu de se laisser vivre. Et laisser venir le monde vers vous. Et réagir au jour le jour à lui, sans chercher à suivre un programme, un chemin dessiné d'avance. La formalisation des sentiments, la planification de la vie, tuent les sentiments et la vie-même. On a beaucoup parlé du mariage ces derniers temps en France, à l'occasion du débat sur le mariage entre personnes de même sexe. Un débat qui en revanche n'a à ma connaissance jamais été ouvert en grand dans l'opinion publique est le suivant : pourquoi certains couples non mariés qui s'entendent bien et décident finalement de se marier officiellement, vont se séparer peu après ? Comme si le mariage venait ici détruire leur relation ? Ce genre de question touche au fond des choses de la vie. Qui font que quoi qu'on fasse, il faut s'écouter. On n'est jamais trop à l'écoute attentive de ce que dit notre cœur.

Laisser le temps au temps. Faire le cheminement de la découverte de l'autre. Autant d'éléments qui manquent souvent dans la pratique de la recherche amicale ou amoureuse chez bien des gens. On fait de l'apriorisme.

Par exemple, on pratique l'angélisation ou la diabolisation. Combien de niais angélisent. Croient qu'il suffit qu'une femme soit belle en suivant les critères du jour, pour faire « le bonheur » d'un homme ? Et d'autres qui font le même raisonnement à propos de la beauté d'un homme ?

Inversement, combien diabolisent ? Décrètent par avance, par exemple, qu'un homme ou une femme « trop jeune » ou « trop âgé » pour l'autre ne saurait le rendre heureux ?

Autant de manières artificielles d'anticiper avec des à-priori pour chercher à conduire la vie relationnelle. Exactement comme les expérimentateurs déjà mentionnés ici cherchant à établir les bases d'un couple idéal et rencontrant un échec flagrant.

Combien de personnes cherchent des garanties, des trucs, des raccourcis, des chemins de traverses pour arriver à un « bonheur » imaginaire. Et vont chercher à « deviner » d'avance par quel chemin mystérieux aller ?

Les librairies regorgent d'ouvrages bidons rédigés par des gourous de fantaisie auto-proclamés qui donnent leurs recettes « infaillibles » pour trouver le bonheur garanti !

On pourra voir aussi brandies à cette occasion des prétentions « scientifiques ». Vous voulez trouver le bonheur et ne le trouvez pas ? Faites donc une psychanalyse ! Ce qui est certain dans une psychanalyse classique, c'est qu'au prix où sont les séances elles fera au moins le bonheur financier de votre analyste !

On peut aussi faire appel à la magie de l'astrologie : en vertu de la date de naissance d'un inconnu, savoir par avance, avant de le connaître, s'il pourra faire votre bonheur. Fadaises que tout cela !

Et si, au lieu de chercher le moyen miracle d'arriver au bonheur obligatoire vous commenciez par vous écouter ? Chercher, constater simplement ce qui est en vous. Et qui, chose bien étonnante, le plus souvent ne correspond guère à la pensée unique dominante.

A force d'alterner traversées du désert et déceptions cruelles dans ma quête du bonheur obligatoire, j'ai fini par constater que je ne trouvais pas le sexe aussi passionnant qu'on voudrait nous imposer de penser. Je ne le trouve même pas intéressant du tout, ou presque. Mais, j'ai durant des dizaines d'années cherché à faire comme tout le monde. C'est-à-dire à suivre la pensée unique qui proclame le bonheur sexuel et obligatoire à chercher.

L'être humain est sexué. Et alors ? Il a aussi un appendice qui ne lui sert à rien. Pourquoi son zizi devrait lui servir absolument et obligatoirement à s'accoupler régulièrement ? Les statistiques données par les sondages à ce sujet m'apparaissent totalement fantaisistes. Si je les compare avec le peu de confidences entendues autour de moi. Des millions de gens ne baisent pas durant des semaines, des mois, des années, voire jamais. Et les sondages donnent des statistiques flamboyantes et totalement imaginaires montrant tous les humains passant leur temps à baiser régulièrement.

Que de discours sur l'être humain sexuel, asexuel, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou transsexuel ! En fait, l'être humain est sexué, tout simplement. Il n'est pas sexuel, asexuel, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou transsexuel. Il n'est rien du tout de précis dans ce domaine.

Il est plutôt fraternel. Au sens où il a besoin de l'amour des autres. Et de l'échanger avec le sien.

Je ne me sens ni fondamentalement sexuel, asexuel, hétérosexuel, bisexuel, homosexuel ou transsexuel. Je me sens tout simplement fraternel.

Comme un prêtre ou une religieuse ? demanderont certains.

Non, car un prêtre ou une religieuse font vœu de chasteté et renoncent à la chair. Moi, je ne renonce à rien. J'ai seulement renoncé de continuer à faire comme si le sexe m'intéressait. Alors que j'ai constaté qu'il ne m'intéressait pas, ou guère.

Puis-je changer ? Ou changer, puis revenir à l'état présent ? Bien sûr. Mais ça n'est pas l'essentiel. Et ça ne m'inquiète absolument pas. Ça peut tout aussi bien ne jamais arriver. Ça ne m'empêchera pas d'être fraternel. Et développer mon amour des autres.

Quant à ceux qui ne me comprendront pas, ça n'est pas grave. Ils ne se comprennent déjà pas eux-mêmes. A force d'écouter leur zizi, ils ont fini par oublier qu'ils ont un cerveau et un cœur.

Basile, philosophe naïf, Paris le 8 décembre 2013

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