lundi 6 janvier 2014

197 L'art de s'inventer des obligations imaginaires

La première fois qu'une jeune fille s'est montrée exprès nue devant moi, elle m'avait invité à assister à son bain. Quand elle est sortie de la baignoire, et que face à moi elle s'essuyait, elle était à portée de mains. J'ai eu envie de lui toucher les seins. Et ne l'ai pas fait, parce que je me suis dit : « non, ça ne se fait pas ». Je m'étais inventé l'obligation de ne pas toucher les seins d'une jeune fille qui avait choisi de s'exhiber nue devant le jeune homme que j'étais. A cet instant-là, j'ai eu aussi l'envie de la voir nue de dos. Et n'ai pas osé lui demander de se retourner. A l'instant, je m'étais inventé l'obligation de ne pas demander à cette jeune fille de pouvoir la contempler ainsi. Que ce serait-il passé si je n'avais pas été ainsi pétri d'obligations imaginaires ? Je serais peut-être aujourd'hui grand père et également grand oncle, car la jeune fille, c'était ma sœur.

S'inventer des obligations est un grand classique. Bien des années après cette scène de bain, j'ai eu une petite amie qui avait une mauvaise santé. Elle allait souvent voir les docteurs. Et fréquentait les services hospitaliers. Au début de notre relation, pour lui faire plaisir, je l'accompagnais. Puis, je l'ai fait par habitude. Enfin, je le faisais parce que je m'y sentais obligé. Je m'étais inventé l'obligation de l'accompagner. Quand elle m'a quitté, elle m'a dit qu'entre autres raisons pour le faire elle se sentait trop protégée par moi.

Souvent, sans le réaliser clairement quantité de personnes s'inventent des obligations. Si vous vous dites : « mardi prochain à dix heures je me rends à tel endroit », vous pourrez, le jour venu, faire de grands efforts pour rester fidèle à ce projet. Et, pourtant, il se peut que rien ne vous oblige à vous y conformer. Excepté ce plan, fruit de votre imagination à un moment-donné. Et peut-être qu'en vous introspectant, sans dommages particuliers, vous pourrez vous « déprogrammer ». Et vivre bien mieux la situation. Par exemple, en vous disant que vous pouvez arriver une heure plus tard que prévue. Ou reporter ce déplacement à la semaine ou au mois d'après.

A chaque fois qu'une action vous presse, il est utile de se demander très précisément pourquoi. Comment on y a pensé. Et si c'est vraiment nécessaire de la faire à ce moment-là.

Un exemple historique fameux d'obligations imaginées et suivies, est donné par le célèbre projet Manhattan de réalisation de la première bombe atomique. Au départ, ce projet avait pour origine la volonté de physiciens communistes. C'était la guerre contre le nazisme. Ces physiciens souhaitaient donner aux États-Unis l'arme atomique avant que l'Allemagne nazie ne l'acquiert. La bombe atomique n'était pas encore utilisable, quand l'Allemagne nazie a capitulé le 8 mai 1945. Il n'y avait alors pour ces physiciens plus aucune raison de continuer sa mise au point.

Au lieu de stopper leur recherche, ils ont travaillé avec encore plus d'acharnement. Finalement, la bombe ne fut pas jetée sur l'Allemagne, mais sur le Japon en août 1945.

Pourquoi avoir voulu continuer ainsi ce travail ? Parce que ces chercheurs se comportaient comme s'ils avaient été mus par une obligation. Qui, après le 8 mai 1945, était en fait devenue imaginaire. Et a causé des dizaines de milliers de victimes japonaises à Hiroshima et Nagasaki.

Les obligations imaginaires liées à des titres, des situations, des valeurs fausses, conduisent à faire des efforts, parfois très grands, dans de fausses directions. Avec quelquefois les encouragements d'autres, qui croient que ces directions sont justes. Il faut penser par soi-même. Et savoir absolument tout remettre en question, y compris les certitudes les plus profondes et indiscutables, les valeurs apparemment les plus justes. Et savoir emprunter des chemins réputés hasardeux quand ceux-ci se révèlent finalement franchirent des frontières ignorées et mener aux vérités recherchées.

Basile, philosophe naïf, Paris le 6 janvier 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire