lundi 19 mai 2014

245 L’erreur de « sortir »

Aimer est un besoin vital. Il est très fréquemment insatisfait et l'amour est source d'incalculables souffrances et récriminations. La cause subtile de cette situation calamiteuse est à chercher dans un phénomène particulier et généralement inaperçu en tant que dérangement : la préméditation de l'acte sexuel. Soit pour le refuser, soit pour l'accepter par avance. Extension de ce phénomène : la jalousie venant de soi ou crainte venant de l'autre, qui témoigne du refus de l'acte sexuel en perspective imaginée entre ou avec des tiers.

Aujourd'hui, dans la jeunesse et pas seulement, un mot revient souvent : « sortir ». Je sors avec untel, il sort avec unetelle, ils sortent ensemble depuis trois ans. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie : je baise avec untel, il baise avec unetelle, ils baisent ensemble depuis trois ans. Le mariage lui-même inclut ce concept : les époux se doivent soutien et fidélité. C'est à dire, se doivent soutien et baise exclusive. Les églises en ajoutent une couche : croissez et multipliez. C'est-à-dire : baisez. Pourquoi cette intention proclamée ? Et ô combien : à la sortie de l'église ou la mairie, les nouveaux époux s'embrassent sur la bouche devant tout le monde. Ce qui signifie : ils vont baiser, la chose est possible, souhaitable, nécessaire. Et va arriver, car dorénavant ils sont mariés. 

Il existe un débat faussé : il faudrait soi-disant choisir d'être pour ou contre la baise. Ou alors pour ou contre la fidélité, qui est présentée comme l'opposé unique et symétrique de la débauche, l'orgie. Ou on a un compagnon ou une compagne régulière. Ou « on fait n'importe quoi ». C'est-à-dire : on couche avec tout le monde. Ce dernier comportement ne se rencontrant nulle part. Même les plus libertins choisissent leurs partenaires.

Pour justifier la préméditation de l'acte sexuel on invoquera des impératifs : c'est « la Nature », « faire l'amour est la plus belle façon de communiquer », « c'est le plus grand plaisir qui existe », etc. Foutaises que tout cela ! Le motif qui a fait de l'acte sexuel, petite chose sans grande importance, une chose importante aux yeux des humains est tout bêtement qu'ils savent que cet acte est reproducteur.

Or, les animaux à l'état naturel ignorent la corrélation entre accouplement et parturition. Ils baisent. Et, par la suite, des semaines ou des mois plus tard, les femelles vont accoucher ou pondre des œufs. L'homme lui sait que l'acte sexuel et la reproduction sont liés. Or ce savoir bouscule l'amour qui est chose naturelle.

Accorder de l'importance à la sexualité, en particulier la préméditer, détruit l'amour. Le sexe existe, mais n'est qu'une petite chose. Les animaux s'y consacrent généralement un faible moment durant l'année. Le reste du temps, ils vivent sans y penser. L'homme, conditionné par son éducation, pense à cela toute l'année. Quand il rencontre un ou une partenaire possible, il va, par exemple, commencer à s'interroger sur la relation sexuelle possible ou non avec. Il faut se défaire de ces stupides habitudes de penser qui ruinent et ravagent la société.

La physiologie humaine elle-même proteste contre ce dérangement. Plus l'homme pratique à tort le sexe, moins il ressent de plaisir. Car le seul vrai plaisir est d'abord de se sentir vraiment en accord avec soi-même et l'autre : ce qu'on appelle aimer et être aimé. Et l'amour, contrairement à une idée stupide et fort répandu, n'est aucunement « lié » au sexe. On aime. Et il arrive aussi que le sexe soit là. Ce sont deux choses différentes.

On peut très bien aimer sans baiser. Et baiser sans aimer. La seule chose à suivre impérativement est de se respecter soi-même et respecter l'autre. Ce qui entrainera les choix à faire suivant les circonstances. Et le sexe n'a pas une si grande et impérative place que ça. On peut ressentir une formidable accord avec quelqu'un dans de toutes autres circonstances que le sexe.

Je me souviens d'une petite amie avec laquelle les deux plus beaux moments d'accord que j'ai vécu étaient l'un, une après-midi où, assis sur les marches de sa mezzanine en construction, je l'observais y travaillant et bavardais avec elle. L'autre, une balade à vélo que nous avons fait sur le chemin de halage le long du canal de l'Ourcq. Rien de bien sexuel dans ces deux moments passés qui furent pour moi de grands moments. Car je me sentais en plein accord avec elle.

Si vous voulez aimer, brisez vos habitudes, détruisez vos conditionnements, ouvrez la perspective ! Vivez pleinement l'instant présent et appréciez les cadeaux de la vie, si petits soient-ils : un sourire, un regard échangés sont précieux, uniques, extraordinaires et nourrissants. Dites-vous que vous allez aimer sans préméditer quoi que ce soit que la plupart préméditent dans le domaine qu'ils baptisent « sexe ». Ce qui leur apporte inconfort, déceptions, solitude. Pour eux, l'amour est un petit filet d'eau suintant d'un robinet mal fermé dans une vieille baignoire usée et fatiguée. Alors qu'en réalité il est plus vaste qu'un fleuve magnifique, sauvage et sans limites.

Basile, philosophe naïf, Paris le 19 mai 2014

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