dimanche 8 juin 2014

260 Les dix traumatismes originels

J'ai longtemps pensé que l'homme à la base était un singe. Mais il a fallu que la vie et la réflexion m'apprennent pour que je comprenne vraiment jusqu'au bout les tenants et aboutissants de cette idée. Qui est on ne peut plus juste.

A la base, au commencement de la vie, quand nous naissons, nous sommes des singes. Et ces singes vont subir une série de traumatismes originels très violents qui vont nous marquer. Marquent la société et expliquent bien des choses dans notre conscience et notre comportement ultérieurs.

Pour identifier ces traumatismes, nous avons quatre outils de raisonnement :

Le premier est nous imaginer singe. Et, en comparaison avec une vie simiesque de chimpanzé ou d'une autre espèce restée authentique et non dénaturée, chercher à voir ce qui  a été dénaturé en nous.

Le second, ce sont nos souvenirs de la petite enfance.

Le troisième, c'est l'observation des jeunes enfants. Leurs réactions sont parfois la trace de la Nature originelle en eux et intacte à leur naissance.

Le quatrième c'est quand nous vient des pensées, des réactions, des attitudes bizarres pour nous, incompréhensibles d'emblée et qu'il nous importe d'analyser.

S'agissant des traumatismes originels, j'en avance une liste, non exhaustive, de dix. Il y en a quantité d'autres. Ceux-ci m'apparaissent les plus anciens dans notre vie et les plus traumatisants pour la vie ultérieure.

Le premier traumatisme c'est le traumatisme lingual : à la naissance, le petit singe est léché par sa mère. Y compris bien sûr, par la suite, après qu'il a uriné ou déféqué, elle lui lèche le sexe et le trou du cul. Cette pratique est ignorée par les humains civilisés.

Le deuxième traumatisme est le traumatisme textile. Les singes sont nus. Or, les humains civilisés sont systématiquement habillés. Ainsi, dans une famille classique, il pourra arriver qu'un humain ignore parfaitement la configuration anatomique des humains du sexe opposé. De plus, de cet habillage systématique ressortira un malaise général à l'égard d'une chose qu'on appelle globalement "la sexualité".

Le troisième traumatisme est le traumatisme sexuel : chez les singes, on baise en public sans se cacher. Chez les humains civilisés, cette activité ainsi que pratiquement tout ce qui y est associé, se fait en cachette et à l'abri du regard des tiers. Pour un petit singe bien élevé comme je l'ai été, c'est bien simple : cette activité n'existait pas. Jusqu'au jour où il a bien fallu que j'admette qu'elle existait. Qu'elle avait été pratiqué par mon père et ma mère. Et qu'étant au courant, il m'avait caché ce qu'ils savaient. Quand je les questionnais sur des sujets que j'ignorais être liés à la sexualité.

Le quatrième traumatisme est le traumatisme BVPCRP. BVPCRP sont les initiales de presque tout ce qui concerne l'excrétion : baver, vomir, pisser, chier, roter, péter. Très tôt on nous apprend qu'il faut éviter ces évacuations naturelles, ou tout au moins, les faire hors de la vue des tiers. Et se retenir même, au moins momentanément de les faire. Il ne faut ni toucher, ni jouer avec les excrétions concernées. A cette liste s'ajoute la morve, et, bien après notre naissance, les menstrues, la cyprine, le sperme et le liquide des glandes de Cowper, qui vont également être assimilée à la saleté et la honte.

Le cinquième traumatisme originel est le second traumatisme textile : il faudra impérativement s'habiller, ne pas être nu, vu nu. On devra s'habiller même s'il fait très chaud, même si les vêtements sont ridicules car visiblement ne servent à rien de pratique et utile, comme les culottes de bain.

Je me souviens d'un petit garçon âgé d'environ deux ans. Je l'ai aperçu sur la plage de Palavas-les-Flots au début des années 1980. Il marchait, les pieds dans l'eau, sa petite culotte de bain complètement trempée d'eau de mer. Voilà qu'il s'arrête un instant. L'enlève. La jette au loin avec dégoût. Et poursuit son chemin.

J'ai vu en vacances en Corse en 1993 d'autres petits enfants témoigner de l'insupportabilité de l'obligation de porter des vêtements quand il fait très chaud. Et que cette contrainte leur apparaissait pour ce qu'elle est : totalement absurde. Mais à laquelle adultes nous sommes habitués au point d'être souvent gênés par la nudité.

Le sixième traumatisme originel est le second traumatisme sexuel : les adultes insisteront sur la nécessité de cacher en particulier les zones génitales et anale, et même mammaire chez les très petites filles dont les seins n'ont pas encore poussés. Et interdiront de se toucher. Ces interdits catégoriques et mystérieux concerneront une activité que le petit singe commencera à envisager comme coupable et honteuse. Il n'a pas idée de l'acte sexuel, qu'on le met déjà en garde contre l'organe qu'on y emploie. Cette partie de lui-même est déclarée honteuse. Susceptible de suspicion. Bref, elle n'est pas « une partie du corps comme les autres ». La médecine d'antan allant dans ce sens a baptisé le nerf de l'appareil génital « nerf honteux ». Ce nom est resté. Et l'appareil génital portait aussi jadis entre autres le nom de « parties honteuses ».

Reflet de cette culture toujours bien présente à notre époque, cette petite scène vue par moi, en passant à Asnières-sur-Seine près de Paris, il y a un an environ. Trois petits garçons marchent dans la rue. Ils ont environ huit ou neuf ans. L'un d'eux avise dans le caniveau un tampax neuf. Le ramasse et le montre à ses deux petits camarades. « Les filles se mettent ça dans le cul. C'est dégueulasse ! » s'exclame-t-il en jetant l'objet avec dégoût par terre. Pourquoi dégueulasse ? Toute une éducation à refaire. Les filles, le cul, c'est dégueulasse... pauvre gamin, tu as et tu auras des problèmes.

Le septième traumatisme originel est le troisième traumatisme sexuel. La principale activité sexuelle chez les humains civilisés, c'est la masturbation. En témoigne aujourd'hui le chiffre d'affaires colossal de la pornographie, qui n'existe essentiellement que comme un aliment visuel favorisant la masturbation. La masturbation développée à ce point est le résultat de la Civilisation qui condamne la nudité, la caresse et aussi l'acte sexuel, qualifié de « pêché de chair » par l’Église. Or, même la masturbation de masse, ce pis aller et ce résultat de la Civilisation sera condamné à être cachée. Les adultes cacheront aux enfants qu'ils se branlent très souvent, le feront hors de leur vue.

Quand j'étais petit, je suis un jour tombé sur le mot « masturbation » dans un ouvrage médical qui prétendait en faire un maux devant être traité. Intrigué, j'ai questionné mes parents sur le sens du mot. Mon père, devant ma mère silencieuse m'a répondu que ça consistait pour quelqu'un à se frotter le zizi. Et pourquoi donc ? ai-je demandé. « Parce qu'il est fou », m'a-t-il dit. Or, cinquante ans plus tard, je lui demandais si, au stalag, où il a été prisonnier de guerre de 1940 à 1943, l'absence de femmes n'était pas trop dur pour les prisonniers. Et il m'a répondu alors : « il y avait la masturbation ». M'avouant ainsi son mensonge commis un demi-siècle auparavant. Il savait bien que les masturbateurs ne sont pas fous. Et il en avait fait et faisait très probablement encore partie.

Rares sont les auteurs qui parlent de la masturbation dans leur biographie, ou leurs œuvres en général. Le chanteur Antoine, dans ses mémoires, ne cache pas sa pratique de la chose. Et un autre chanteur français, moins connu et très talentueux, Manu Lods, y a consacré une très jolie chanson.

Le huitième traumatisme originel est le quatrième traumatisme sexuel : quand les enfants découvriront la masturbation comme activité propre et commenceront à la pratiquer régulièrement. Ils reproduiront le modèle donné par les adultes, en se cachant pour se branler. La honte sera l'accompagnement classique de cette activité. A laquelle est associée la pornographie.

Cette absurde honte inculquée fera des dégâts psychologiques. Une jeune fille m'expliquait à la fin des années 1970 qu'elle avait découvert la masturbation quand elle vivait dans le logis familial. Pour ne pas être entendu s'y adonnant la nuit dans son lit, elle se crispait de tout son corps, afin d'éviter de gémir de manière révélatrice de son activité. Résultat, depuis, bien des années après, quand elle se branlait, même toute seule chez elle, elle éprouvait le besoin de se crisper pareil, sinon elle n'arrivait pas à se faire plaisir. On ne réalise pas tous les dégâts psychologiques que causent de telles situations. Ayant découvert seul la masturbation, probablement vers l'âge de treize ans, je l'ai très longtemps pratiqué ensuite avec honte. Je me disais à une époque : « je fais ça pour voir, étudier ». Et cette honte allait de pair avec une peur absurde. Celle d'un jour me mettre à me masturber et ne plus pouvoir m'arrêter de le faire, des heures et des jours durant ! « Ça n'est pas une activité » me disais-je. Bien sûr, ça n'est jamais arrivé. Et c'est seulement arrivé à plus de trente ans que j'ai pu être débarrassé de ma honte. C'est arrivé de façon inattendue. J'ai fais toutes sortes de câlins à la petite amie que j'avais alors. Puis, elle, à son tour, s'est mise à m'en faire. Et, comme elle ne voulait pas s'accoupler, elle m'a pris la main et l'a déposé où il fallait pour me faire comprendre et m'encourager à me satisfaire tout seul. Ce qui s'est passé, tandis qu'elle regardait. Et incompréhensiblement, cette histoire, cette façon de faire m'a guéri de ma honte. Qui subsiste encore certainement un peu. Mais pratiquement plus du tout en regard de ce qu'elle a été.

Le neuvième traumatisme originel est le traumatisme verbal, écrit ou dessiné : il sera interdit de parler ou représenter certaines choses, sans explications logiques à ces interdits. Les petits enfants relèveront cette bizarrerie et seront fascinés par les gros mots. Ce qui est gravissime est qu'aux « gros mots » et grossièretés est associé le sexe. Ce qui signifie que l'activité sexuelle est assimilée à une déchéance, une dégradation et non au respect de soi et l'autre ou les autres. Certains adultes éprouvent le besoin d'insulter leur partenaire sexuel, le faire s'habiller en prostituée. N'envisager le sexe que comme une activité vulgaire. Au lieu de se dire : « je vais peut-être faire de très doux et délicieux câlins avec cette charmante amie tant aimée » on voit des personnes pourtant plutôt bien élevés éprouver le besoin de se dire, par exemple : « je vais me faire cette salope ! » C'est ahurissant et inquiétant. Heureusement qu'un grand nombre d'hommes, un grand nombre de femmes, arrive malgré tout à ne pas être des monstres. Mais la société en produit assez pour marquer gravement le paysage des amours.

Le dixième traumatisme originel dont j'ai déjà parlé dans ce blog est le traumatisme causé par le sevrage tactile. A un moment-donné, les adultes entourant un enfant, arrêtent de le caresser, parce qu'il est à présent « grand ». Ça arrive très souvent. Et les caresses ne reparaissent que bien plus tard, assorties d'impératifs sexuels qui leur sont abusivement systématiquement associés.

Tous les dérangements profonds entraînés par ces dix traumatismes originels, amènent quantité de comportements compensatoires : sexe, alcool, drogue, chrématistique, recherche du pouvoir, etc. Quelle réponse donner à ces troubles ?

Il faut faire appel à la conscience. Il ne s'agit pas pour une nouvelle maman, par exemple, de se mettre à lécher son nouveau né. Et lui lécher le cul et le sexe plein de pisse et de merde. Et pour tous se balader à poil en permanence. Baiser au vu et su de tout le monde. Baver, vomir, pisser, chier, roter et péter sans retenue, etc. Non, il ne s'agit pas bien sûr de cela. Mais nous avons une conscience. Avoir conscience de nos traumatismes est important. Et peut nous aider à vivre.

Certaines pratiques rejoignent nos origines. Ainsi celle consistant à la maternité, à la naissance, à déposer le nouveau né sur le ventre nu de sa mère.

La conscience du singe vit toujours en chacun de nous. Et nous souffrons de ne pas la reconnaître et comprendre. Ainsi, si nous avons envie de voir nu un homme ou une femme, d'être nu devant cet homme ou cette femme, de prendre cet homme ou cette femme dans nos bras, de dormir avec, de l'embrasser y compris sur la bouche, le lécher, nous allons en déduire que nous voulons "faire l'amour" avec lui ou elle. Alors qu'en fait nous avons juste envie de ces diverses choses et c'est tout. Elles correspondent à la nudité simiesque, aux câlins, à la promiscuité, au toilettage singes qui vivent toujours en nous. Et ne conduisent pas du tout nécessairement au désir authentique de coït.

Je me souviens avoir entendu à la faculté au début des années 1970 trois jeunes hommes parlant d'une jeune femme et évoquant le fait qu'elle n'était pas là parce qu'occupée sans doute à baiser. Un de ces jeunes hommes, approuvé par les deux autres disaient : "de toutes façons, ça ne fait jamais de mal". Sans me l'expliquer pourquoi, je ne ressentais pas les choses pareillement. C'est seulement dernièrement que j'ai compris l'origine singe et le contenu de mon désaccord. En fait, le jeune homme qui parlait ainsi avait complétement tort. Baiser quand on n'en a pas vraiment authentiquement envie fait beaucoup de tort, égare et détruit les relations. Le ou la partenaire avec qui on baise à la suite d'un raisonnement et pas d'un authentique désir, fini par apparaitre incompréhensiblement insupportable. C'est là aussi  pourquoi on dit que l'amour, au début c'est toujours bien et souvent plus après. On le gâche sans le savoir en ne suivant pas sa conscience de singe et en faisant l'homme. Qui croit que baiser tout le temps et avec le plus de partenaires est le sommet de la vie. Alors que ce n'en est qu'une pauvre et misérable caricature. Un délire d'ignorant et d'imbécile qui suit stupidement le discours de la pensée unique et de la morale débile dominante.

Morale dont une origine possible est ici la volonté des chefs d'avoir les populations les plus grandes possible sous leurs ordres pour mieux conquérir, se préserver. Bref, faire la guerre.

Entretenant la dévastation générale du domaine amoureux, de nombreux ignorants des deux sexes sortiront des phrases du genre : « l'appétit vient en mangeant » pour justifier l'idée erronée de baiser sans vrai désir. A quoi s'ajouteront d'autres lieux communs du genre : « il faut profiter de sa jeunesse », « de la vie », etc.

Quand on voit ce que ces ignorants deviennent avec l'âge, aigris et haineux de la jeunesse dont ils ne font plus partie, on  peut se demander en quoi ils ont « profité de la vie ». Ou alors, si c'est ça, profiter de la vie. Et ce à quoi ça abouti, c'est bien triste. Heureusement la vérité est ailleurs. Et elle est magnifique. Et bien plus abordable et proche que la bêtise séduisante régnante. Il est tellement plus simple de s'écouter quand c'est possible. Et c'est très souvent possible. A condition d'en avoir la volonté et la conscience. Et fuir la fréquentation de ceux ou celles qui ne vous respectent pas.

Mais l'ignorance de notre nature singe, le refus de la voir, l'écouter, conduit tous les jours à des désastres. Ainsi, je regardais l'autre jour la photo d'une très jolie très jeune fille. Elle est avide de tendresse et d'amour. Et se fait très belle et attirante. Et songeais que quantité d'hommes qui vont l'approcher auront l'idée fixe de la baiser, la « posséder »... Alors que le respect de soi et l'autre commanderait d'écouter le cœur de cette très jeune fille qui demande des caresses, des bisous, câlins, tendresse. Et aussi du sexe, mais si et seulement si désir véritable, authentique et réciproque il y a. Mais croyez vous que c'est ainsi que raisonneront les jeunes hommes éduqués par la pornographie ? Non, ils feront les imbéciles, feront souffrir cette jeune fille et, à terme, souffriront eux aussi. Quel gâchis !

On dit d'une brute : « c'est une bête », « il se conduit comme un animal ». Non, il se conduit comme un humain. Le singe, lui, suit son authenticité. Il n'a pas besoin de séances chez le psychologue et de tranquillisants, anxiolytiques, anti-dépresseurs, somnifères et drogues diverses légales ou non. Il n'a pas besoin d'accumuler des milliards d'euros en affamant des peuples entiers et entretenant des guerres pour se sentir le « chef ». Il vit sa vie. Et le peu de violence entre congénères qu'il peut connaître dans la jungle ou la savane est à cent mille lieux des violences humaines du débarquement en Normandie.

Comprendre nos traumatismes, leur nature, rend plus tolérant pour certaines choses. Ainsi, d'un ancien qui ne contrôle plus ses fonctions naturels et fait sur lui, on pourra cesser de le qualifier de « pas autonome », « gâteux », « n'ayant plus sa tête ». Non, on parlera de retour au naturel. Il en sera ainsi aussi de l'énurésie chez certains adultes. Elle ne sera plus considérée comme honteuse. Le monde y gagnera dans le domaine du respect de tous et de chacun.

Basile, philosophe naïf, Paris le 8 juin 2014

 






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