jeudi 21 août 2014

273 Trouver les bonnes règles pour aimer

La philosophie est importante, car le principal fléau dont souffre l'Humanité, ce sont les idées fausses que les humains se font sur eux-mêmes. Alors que tous les besoins matériels et moraux de l'Humanité pourraient être très aisément et rapidement satisfaits, une conséquence tragique de ces idées fausses est qu'il n'y a jamais eu autant de pauvres. L'abondance engendre la faim et la misère organisées. On en meurt en masse dans bien des pays. Et cet état de choses ne fait que s'aggraver et gagner du terrain partout dans le monde. Car les chefs d'états et de gouvernements que nous avons sont pratiquement tous persuadés que leur bonheur implique de prendre des décisions à l'encontre de la population. Que la faim du plus grand nombre assurera la félicité du petit nombre auquel ils appartiennent. Ils ne sont ni fous, ni méchants, mis à part quelques-uns d'entre eux. Ils sont égarés et ne comprennent pas du tout où ils vont en entraînant les autres. Et si la masse les suit, c'est qu'elle aussi ne comprend pas sa situation et où elle va, où elle est entraînée. Déjà en 1549, Étienne de La Boétie avait souligné ce fait dans son Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un.

Les idées justes abondent. Ce qui ne signifie pas qu'elles sont suivies. En vérité quand on les invoque, généralement on les altère et les réduit à néant. Par exemple on va citer les propos bibliques : « tous les hommes sont frères », « aimez-vous les uns les autres ». On vantera la justesse de ceux-ci. Pour ajouter aussitôt : « mais, dans certains cas... » et on videra complètement ces principes de leur substance. Un exemple fameux aussi est celui des pseudo adversaires de la peine de mort qui déclarent être contre elle. Pour ajouter aussitôt que, dans certains cas, bien sûr, elle ne peut pas ou ne pouvait pas ne pas être appliquée. Résultat, on trahira la position d'opposition à la peine de mort soi-disant adoptée.

Trahir ainsi, c'est ce qui arrive généralement avec la position de base de mon analyse de l'Humanité. J'affirme, chose peu original, qu'en chaque être humain s'oppose une base naturelle et un apport culturel. Quantité de gens acquiesceront. Diront que c'est vrai. Pour ajouter ensuite que, bien sûr, l'homme n'est pas à la base tout à fait un animal, etc. Et videront complètement de son sens la position soi-disant défendue par eux. Ce qui est original, c'est d'être intraitable, d'aller jusqu'au bout de la position Nature originelle contre Culture acquise. Ce que je fais. Oui, à la naissance nous sommes des petits singes parfaitement sauvages. La Culture vient ensuite nous contrarier.

Je ne défends pas la Nature bonne contre la Culture mauvaise, ou l'inverse. La Nature admet très probablement le vol, le viol et le meurtre entre humains. Je suis contre. Ce qui signifie qu'ici je m'éloigne de la Nature. Ce qui ne signifie nullement que j'encense sans limites la Culture. La Culture nous a donné entre autres le sandwich jambon-beurre, le sparadrap et la Vénus de Milo, qui sont de bonnes choses. Mais elle nous a également donné, entre autres, les mines anti-personnelles, la cupidité accumulatrice d'argent dite « chrématistique » et la lapidation des femmes accusées d'adultère. Choses qui me paraissent parfaitement mauvaises et négatives.

La Culture égare les humains et les prive le plus souvent du bien vital le plus précieux : l'amour. Cette privation prend une forme complexe qui rend très difficile la compréhension de son mécanisme.

Dans la vie des humains, il y a les trois âges de la sexualité :

J'observais récemment une aire de baignade familiale sur les rives du Tarn. Il y avait des petits enfants. Les petits garçons portaient des culottes pour se baigner. Les petites filles s'y voyaient ajouter des « soutiens-gorges » pour soutenir les seins qu'elles n'avaient pas encore. Ces tenues pouvaient être jolies, de beaux tissus, de vives couleurs. Mais que devons-nous en penser ? Voilà des petits enfants qui sont très loin de l'acte sexuel. On leur attribue des caches en tissu qui recouvrent certaines parties d'eux-mêmes. Ce qui signifie que ces parties d'eux-mêmes sont déclarées avoir un statut particulier. Il faut les cacher au regard d'autrui. Ce qu'on cache est honteux.

On voit ici s'articuler le message : ces petits garçons, ces petites filles, doivent cacher une partie déclarée honteuse d'eux-mêmes. Ce faisant, ils préfigurent l'exemple des adultes. On inculque ainsi aux petits enfants dès très jeune le fait qu'il existerait un domaine particulier, régit par des règles particulières et concernant un organe précis en particulier : le sexe. Alors qu'il n'est nullement question pour eux de « faire l'amour » on sous-entend que les organes dévolus à cette activité sont déjà à cacher. Si on réfléchit bien, on voit que cette manière de présenter les choses est obscène.

A moins de pratiquer le naturisme ou appartenir à un des rares peuples qui vivent nus, on ne se retrouve « au naturel » que pour se laver, être soigné médicalement ou « faire l'amour ». L'obligation de cacher aux tiers son anatomie, l'interdiction de voir celle des autres crée un traumatisme qu'on fini par ne plus remarquer, à force de le vivre, y être habitué. Imaginer que certaines personnes soient à la base nues dans leurs vêtements paraît même incongru. Imagine-t-on le pape tout nu ? Il est difficile de l'imaginer autrement qu'habillé.

Les années passent, et, après ce premier âge de la sexualité, arrive le deuxième. Vers onze, douze, treize ans ou plus tard, les garçons et les filles commencent à être attirés puissamment les uns par les autres. Va-t-on les autoriser à « faire usage » de leur zizi ? Pas du tout, ils sont considérés comme trop jeunes pour. On va procéder avec eux à une sorte de castration provisoire. La loi elle-même le proclame. Même désirant et consentant, en dessous d'un certain âge baptisé « majorité sexuelle », toutes activités sexuelles est prohibées et pourchassées avec une extrême sévérité.

Arrive enfin, après nombre d'années, le troisième âge de la sexualité. Le sexe devient enfin autorisé. Mais en suivant quels exemples, quelles règles ? On a habitué dès l'enfance les garçons et les filles à l'idée qu'il existe ici un domaine particulier, régi par des lois particulières. On va les chercher. Chercher à les suivre. Et ce faisant on va complètement s'égarer.

Car « le sexe » est en fait régi par les lois générales du comportement humain et pas par des règles différentes, spéciales, particulières.

La première des lois générales à suivre consiste à trouver la réponse à la question : « qu'est-ce que je veux ? » Ici on la remplacera par autre chose : l'obligation de suivre telle ou telle règle, quand bien-même elle nous contrarierait. Ainsi, par exemple, on croit que si on est d'accord pour « faire l'amour », et qu'on cherche à le faire, tout va bien. Alors que la question de fond, niée, bien cachée est : « en ai-je authentiquement envie ou est-ce juste une approbation d'origine culturelle ? »

La plupart du temps, quand des humains « font l'amour », ils suivent un raisonnement intellectuel et pas un désir véritable. Et cette manière de faire ronge et ruine à la longue tout accord entre les humains concernés. Je suis arrivé à cette conclusion après cinq dizaines d'années de réflexion. Il ne s'agit nullement pour moi de condamner l'acte sexuel, ce qui serait absurde et a aussi déjà été fait. Mais de considérer celui-ci bienvenu seulement quand existe un désir authentique et non une démarche qui relève du conditionnement reçu. Ce conditionnement reçu amène également à croire en la nécessité de se mettre en ménage avec la personne qu'on a choisi intellectuellement comme partenaire sexuel.

La source de la confusion entre sympathie, tendresse et sexe obligatoire avec vie à deux si « c'est sérieux », vient de l'existence de l'économie sexuelle. C'est-à-dire du corpus d'implications économiques qu'on accorde à la sexualité. Dans celui-ci, traditionnellement, la femme dépend matériellement de l'homme. Elle est également un objet de consommation, une sorte de meuble appartenant à l'homme. Il s'agit d'une tradition très ancienne. Ainsi, par exemple, la femme apparaît dans le dixième commandement biblique comme la propriété de l'homme : Tu ne convoiteras ni la femme, ni la maison, ni rien de ce qui appartient à ton prochain. Un âne, un tapis, une maison, une femme... sont définis comme des propriétés du « prochain », qui, par définition, est de sexe masculin. Seul l'homme est propriétaire. La tradition prétend aussi que si une femme est « infidèle » à l'homme, son propriétaire, il doit la massacrer. Il le fait avec l'aide, le soutien et la complicité de la communauté masculine à laquelle il appartient. L'amour ici est absent. Il s'agit de possession-domination. L'économie sexuelle ignore l'amour. Vouloir subordonner ce dernier à elle, c'est le nier.

Le mariage tant vanté est juste un contrat. La famille est une unité économique reproductive. Le mariage et la famille peuvent être beaucoup plus que ça. Mais compter juste sur leur existence administrative pour assurer le bonheur est un fantasme.

Il existe des problèmes généraux, des problèmes individuels et également des problèmes individuels qui sont l'expression de problèmes généraux. On tend souvent à nier le caractère général de problèmes particuliers quand il s'agit de la relation homme-femme. Si ça ne marche pas, c'est qu'on n'a pas « trouvé la bonne personne », « on a trop attendu de l'autre », c'est la faute à « pas de chance », ce sont les femmes « qu'on n'arrive jamais à comprendre », ou bien les hommes « qui ne veulent pas s'engager »... C'est toujours la faute à l'autre, à des impondérables. Mais, quand les mêmes incidents touchent simultanément des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, comment ne pas voir là l'expression d'un phénomène général vécu au plan individuel ?

Je connais quelqu'un qui voue un véritable culte à l'institution matrimoniale. Pour cette personne, le mariage est un acte fabuleux porteur des espoirs les plus grands, assurant des lendemains qui chantent. J'ai aussi dans mes connaissances une jeune fille qui considère sa virginité comme un bien précieux à préserver. Je ne partage pas ces convictions. Cependant, elles ne me dérangent pas. Simplement je vois les choses différemment. Peut-être que pour ces personnes effectivement le mariage est un acte fabuleux et la virginité un bien précieux.

Je ne conteste les convictions des autres que quand elles portent atteintes à l'intégrité des gens. Si quelqu'un est pour l'excision des petites filles ou l'assassinat des femmes accusées d'adultère, je suis opposé. Car ce sont des positions qui portent atteinte à l'intégrité des gens.

Une amie m'a dit à propos de mes convictions concernant l'amour et la sexualité que j'avais tort de généraliser mes impressions. Que chaque culture nationale différait, chaque comportement, chaque individu était unique. Cette manière de présenter les choses à mon avis conduit à noyer le poisson. Que ça nous plaise ou non, il existe des lois générales, même si elles sont mal connues, voire niées.

Quand un mariage sur deux à Paris et un sur trois en province fini par un divorce, ça signifie quelque chose. Des quantités de gens ont cru avoir vécu « le plus beau jour de leur vie », qui allait changer leur existence. Et voilà que tout vole en éclats. Le problème vécu ici directement par deux personnes est l'expression à leur niveau d'un problème de société. Et que dire d'autres graves dégâts surgissant dans les relations homme-femme à grande échelle ? Dépressions, suicides, crimes « passionnels », viols, agressions sexuelles, recours à la prostitution, etc.

Pour éviter de réfléchir devant cette situation, c'est trop facile de renvoyer les victimes à un sort individuel malchanceux. Il existe autre chose. Des règles à trouver pour éviter tant de souffrances et de malheurs. J'en propose certaines. Je peux me tromper. Mais en tous cas le débat doit être et rester ouvert. Et chercher à comprendre comment et de quelle façon se présentent les problèmes c'est déjà commencer à les résoudre.

Basile, philosophe naïf, Paris le 21 août 2014

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