samedi 28 février 2015

354 L'invention de « la sexualité » et son oubli organisé

Au début de la vie, l'être humain n'a pas dans sa conscience le sentiment d'existence d'un domaine spécial, coupable et particulier : la « sexualité ».

Un petit enfant nu ne se sent pas « nu » au sens malaise, besoin de dissimuler son apparence à autrui. Il se touche pour le plaisir sans éprouver de gêne ou de complaisance exhibitionniste si d'autres sont présents et le regardent. Puis, il réalise que les grandes personnes affectent d'étranges comportements. En particulier, ils se cachent et l'invitent à se cacher. Tout particulièrement à cacher certains endroits de l'épiderme. Ces mêmes endroits qu'il est interdit finalement de toucher, se toucher, tout particulièrement si des « étrangers » sont là. Par exemple, les seins, ces organes féminins nourrisseurs, défense d'y toucher ! J'ai vu plusieurs fois dans des lieux publics à Paris des dames repousser leurs petits enfants sevrés qui cherchaient à mettre la main dans leur corsage.

Quand j'avais cinq ans, en colonie de vacances au bord du lac d'Aiguebelette en Savoie, je m'étonnais devoir porter une culotte de bain. Je demandais le motif de cet étrange accoutrement public. D'autant plus incompréhensible qu'une fois mouillée, porter cette chose qui ne servait visiblement à rien devenait parfaitement désagréable. « C'est pour l'hygiène » me répondit-on fort hypocritement. J'acceptais la validité du motif. J'ai vu un jour, dans les années 1980, sur une plage en bord de mer, un petit garçon de deux ans portant un slip de bain mouillé l'ôter spontanément et le jeter par terre avec dégoût. Il n'avait pas encore été propagandé comme moi à l'âge de cinq ans.

Petit, on cherche à imiter les « grands ». On se laisse bourrer la tête. On accepte qu'il existe un état particulier, baptisé « nudité », qui connait ses contraintes particulières et ses diktats impératifs. On nous apprend à avoir honte de nous, d'être vu « nu » et tout particulièrement d'avoir honte d'une partie de nous : le sexe. Il faut absolument le dissimuler à autrui. Ainsi que d'autres parties de ce qu'on nous a appris aussi être « le corps », c'est-à-dire en fait nous-même.

Les vêtements sont détournés de leur rôle protecteur utile pour servir à la dissimulation. Le comble du ridicule étant atteint par les « vêtements de bain », surtout quand ils sont très petits !

On nous apprend et conditionne à l'idée qu'il existe un état spécial : « nu », défini comme sans vêtements. L'état naturel étant sensé être avec des vêtements. Pourtant, nous ne naissons pas avec un slip ! On nous invente la « nudité ». Celle-ci est à cacher, donc elle est honteuse, pourquoi ? On ne le sait pas vraiment, alors on culpabilise, car on a honte sans raison. En quelque sorte la honte est tellement absurde et forte, institutionnelle, qu'on a « honte de la honte ».

La nudité, en fait l'état naturel, devient pour nous hyper-érotisée par la suite. Entre-temps, des années ont passé. Après la libre très petite enfante a succédé une période de plusieurs années où la sensualité est bridée, endormie artificiellement, réprimée. Cet état artificiel est baptisé « période de latence » par certains spécialistes. On voit dissimuler son caractère culturel et artificiel derrière la prétention à lui trouver une origine naturelle.

Arrive un moment de la vie où on va « réveiller » artificiellement de son sommeil artificiel la sensualité, rebaptisée « sexualité » et orientée vers la reproduction et la sexolâtrie. L'acte sexuel deviendra l'objectif, l'idée fixe inculquée aux jeunes. Ils seront baptisés « adolescents », une étape de la vie qu'on ne trouve nulle part dans la Nature. Parle-t-on d'éléphants ou d'orang-outan adolescents ? Non, jamais, seuls les humains ont le droit à cette étape imaginaire, quelquefois depuis quelques années précédée d'une autre étape toute aussi imaginaire : la « pré-adolescence ».

Vers l'âge de douze, treize, quatorze, quinze ans on va réveiller la sensualité. Mais dans quelle orientation ! Hyper-érotisation de la nudité, masturbations frénétiques et répétées, culpabilité incompréhensible et écrasante. Sans compter un analphabétisme tactile fruit d'années et années où toutes les caresses sont en général prohibées, car classées « sexuelles ». Le résultat sera une inconduite incroyable des garçons à l'égard des filles. Ils ne penseront qu'au trou. Et l'envahissement de la pornographie via Internet n'a certainement pas arrangé les choses.

Le conditionnement reçu fera de la recherche de l'acte sexuel une idée fixe, détachée du désir authentique. Dès que c'est « techniquement possible », hop ! allons-y ! Un ami quinqua me disait, dégoûté, parlant de la jeunesse : « c'est la génération capote ». T'as une capote sur toi, allons-y !

Les dragueurs « professionnels » sont l'expression-même de cette misère relationnelle. Ils n'arrivent pas à apprécier leurs partenaires résumés à un trou ou une queue. Ils sont des « messieurs-dames vingt centimètres »... l'étendue de peau et muqueuse concernée par leurs « caresses » se résumant à vingt centimètres carrés, alors qu'un être humain en compte deux mètres carrés. La prohibition culpabilisation de la « nudité » s'accompagne de deux prétentions absurdes : la sexualisation de l'érection. Soi-disant celle-ci correspond à l'envie de baiser. Alors qu'elle survient en de multiples occasions sans qu'il ait désir véritable et authentique. Et la prohibition de l'écartement des cuisses chez les femmes et même les petites filles nues, considéré comme « sexuel » et obscène ! Un ami naturiste m'a raconté avoir vu un jour une mère de famille naturiste engueuler sa petite fille parce que nue au bord d'une piscine elle écartait les cuisses ! On vire à l'obsession perverse et maladive.

La vue seule du sexe est baptisée « sexuelle ». Frustrés visuellement, ne voyant pas de nudités, quantité de gens passent le temps à se gorger de pornographie.

La pornographie est un produit commercial. Qui prétend abusivement que l'acte sexuel - et trois ou quatre bricoles annexes, tels que la fellation ou le bisou sur la bouche avec la langue, - représentent le but impératif à atteindre en permanence de l'âge de quatorze à quatre-vingt ans ! Absurde et démolissante ânerie ! La relation humaine est infiniment plus vaste et belle que ces seuls petits exercices qui ne sont justifiés que quand ils relèvent d'un désir véritable et réciproque. Et pas d'une mise en scène et un conditionnement culturels fruit de siècles de frustration organisée.

Les personnes qui n'arrivent pas à se détacher de cette obnubilation qui résume la relation à quelques minutes d'accouplement glissent insensiblement vers le sadisme. Il peut être passif et consister, par exemple, à se repaître de récits d'atrocités commises par d'autres. On fait du voyeurisme sadique parce qu'on n'a pas réussi à régler son compte à sa sexualité artificielle et perpétuellement frustrée, car à la recherche d'une chose qui n'existe pas : l'épanouissement sexuel en permanence et à tous prix. La vie est plus vaste que cette gymnastique en chambre à laquelle notre société prétend très souvent nous résumer. J'ai même lu un jour que : « l'acte sexuel est la plus belle façon de communiquer ». J'aurais aimé demander : « même quand il s'agit d'un viol ? ».

Si j'en relève les faiblesses, je ne prône pas pour autant des changements de société, mais cherche à trouver des remèdes pour réduire la nuisance de celle-ci. La société accorde un sens précis, une signification à la nudité ? Desérotisons-la ! Comment ? En étant nu le plus souvent possible. Sans pour autant le faire en public, sauf dans un cadre naturiste légalisé. Une fois qu'on est resté nu très souvent, en écrivant, répondant au téléphone, classant des papiers, rangeant la maison, passant l'aspirateur, préparant la cuisine, etc. Toutes situations absolument pas érotiques, au bout d'un certain nombre de mois, la nudité perd son caractère érotique, lié à la sexualité. De plus, on a moins froid, car les vêtements nous fragilisent quand ils sont portés sans raison valable, simplement par mauvaise habitude. Et si nu on a froid on peut mettre juste une veste, pas besoin de mettre de culotte. L'amour a de la peine à s'exprimer, être vécu, est contrarié par la sexualité artificielle qui nous envahit ? Oublions-là !

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 février 2015

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