dimanche 25 octobre 2015

437 Terreur, TOCS et politique

Durant plus de seize années, j'ignorais absolument ce que l'on baptise fréquemment « les frayeurs existentielles ». Je me souviens parfaitement, par exemple, qu'étant enfant et montant dans une rame de métro parisien, il m'est arrivé plus d'une fois de me dire : « dans 100 ans toutes les personnes présentes dans ce wagon seront mortes. Comme c'est curieux. » Je trouvais ça curieux, mais sans plus. Et puis, au tout début de l'année 1968, j'allais sur mes 17 ans, voilà que soudain une pensée absolument terrorisante me vient : « je vais fatalement mourir un jour, n'existerais plus, ne penserais plus ». Et voilà que cette terreur me prends. Me reprends. Me re-reprends. Impossible de me défaire de cette pensée glaçante. Je n'ose pas en parler. Me dis finalement : « je deviens fou. » Comme ma famille se soigne à l'homéopathie, je cherche le remède dans un petit livre qui indique toutes sortes de problèmes de santé avec les médicaments homéopathiques correspondants. En identifie un qui doit correspondre à mon problème : le Stramonium. Je demande à ma mère de me l'acheter, sans lui dire pourquoi. Le prends. Ça à l'air de s'arranger. Mais, par la suite, ces frayeurs me reviendront, par périodes d'une semaine environ. Puis passeront à chaque fois. Ce problème durera durant bien des années. Jusqu'à ce que je devienne croyant et m'en débarrasse en 1983. Ce qui signifie que du début 1968 jusqu'en 1983 ces frayeurs m'ont pourri la vie à un certain nombre de reprises avant que ça cesse. J'ai raconté cette histoire dans mon blog en novembre 2012.

Chose nouvelle, je me suis posé la question il y a quelques jours : mais pourquoi précisément les manifestations de cette frayeur ont commencé à ce moment de ma vie, soit vers mes 17 ans ? La réponse à présent me paraît évidente. Cette frayeur en dissimulait une autre bien plus forte : celle de la sortie de mon enfance prolongée. Une frayeur si aveuglante que les humains l'habillent avec autre chose qui leur fait très peur, mais moins : ici, la mort. Ailleurs, ça pourra être autre chose.

Toutes sortes de peurs terrifiantes épousent ainsi notre terreur intérieure qui en prend le visage terrifiant mais moins que la terreur intérieure vue directement. Cet habillage peut être partagé avec un nombre très important de gens. Ainsi, il y a de nombreux millions de gens qui tremblent en croyant être effrayés par « la mort ». Alors qu'il s'agit en fait de la sortie de leur enfance prolongée qui les tourmente et dont ils n'ont pas conscience. C'est vrai y compris pour des chefs d'états, des responsables économiques, des célébrités diverses. Dans le livre qu'elle a consacré à sa liaison avec l'actuel chef d'état français, Valérie Trierweiler explique, je crois à la page 170, que son ex amant a une trouille carabinée de la mort et des maladies graves et des malades atteints de ces maladies. Ce passage m'a frappé. J'en ai un peu parlé autour de moi. La réponse que j'ai reçu était : « il a peur de la mort ? Mais comme tout le monde ! » Cette réponse est partiellement vraie : la peur en question est effectivement en apparence partagée par quantité de gens. Mais elle dissimule en fait la vraie terreur : la terreur intérieure suscitée par la sortie de l'enfance prolongée. Si on se contentait de chercher comment on ressent la vie, elle nous apparaîtrait pour ce qu'elle est : rassurante et sans fin. C'est ainsi que les petits enfants souvent la perçoivent objectivement. C'est ainsi que je la percevais spontanément durant presque 17 ans.

Quand la terreur intérieure veut s'exprimer en nous, elle prend des sortes de déguisements, qui vont nous entraîner à des conduites absurdes auxquelles nous serons passionnément attachés sans même chercher à savoir pourquoi. Par exemple, on commencera à éviter soigneusement de marcher dans la rue sur tout ce qui ressemble à une plaque d'égout. On se dira pour se justifier : « mais ainsi j'évite par avance de marcher un jour sur une plaque qui va m'engloutir ». Et ce délire discret va s'installer. Comme un autre auparavant se sera installé. Oh ! Rien de bien grave : compter ses pas. On commencera à se dire : « si avant que la voiture qui arrive au bout de la rue me dépasse j'ai fait cinq pas, ce sera bien ». Alors, on compte ses pas : « Un, deux, trois, quatre, cinq, ouf ! La voiture me dépasse. » Mais voilà qu'à un autre moment, elle est passée avant le nombre de pas réglementaire. Alors on se dit : « ça ne fait rien, ça va s'arranger si la personne qui marche juste près de moi dans le métro, je la dépasse d'au moins trois pas. » « Un, deux, trois... voilà, c'est arrangé. » Mais déjà, bien avant, on a débuté un autre trouble : l'accumulation d'objets. On conserve des choses encombrantes qui ne servent à rien et rendent la vie, voire même la circulation difficile dans son habitation. Et tous ces troubles, on n'a aucune conscience de leur existence. On n'en parle pas. On s'en donne des explications fausses. Et, chose plus grave, on s'enferme dedans. On s'isole. Jusqu'au jour où, éventuellement, on peut en prendre conscience quand ils prennent un tour aigu et cliniquement visible. Alors, on se renseigne, et on apprend qu'on a « des TOCS ». Ce qui signifie : « Troubles obsessionnels compulsifs ». Il s'agit d'un trouble psychiatrique. Les médecins cherchent à vous en soulager. Mais les TOCS sont en fait beaucoup plus répandus qu'on ne le pense.

Les TOCS épousant la terreur intérieure sont la forme-même de pensées d'innombrables gens, et causent des dégâts extraordinaires. La base-même de quantité de décisions dévastatrices en économie et en politique sont des TOCS partagés. Ainsi, il en est aujourd'hui de « la dette » et « l'austérité ».

On a vu cette année comment s'est organisée la suite du martyre de la plus grande partie du peuple grec. Elle est poussée dans une dramatique misère par la volonté forcenée de dirigeants financiers et politiques grecs ou « européens » et autres de faire à tout prix payer une absurde et odieuse dette. Pour ramasser des milliards d'euros qui ne serviront à rien, on va, par exemple, affamer les retraités grecs, faire croître toujours plus le taux de la mortalité infantile en Grèce, pousser au suicide un tas de malheureux Grecs... Mais, pourquoi un tel acharnement sadique ? À cause de TOCS.

Payer « la dette » est-ce si vital que ça ? Regardons ce qui s'est passé avec la dette de deux pays : l'Islande et l'Équateur. En Islande, petit pays de 323 002 habitants, ils ont refusé de payer une dette absurde et colossale. Ils ont chassé leurs gouvernants et même mis des banquiers en prison. Résultat : aujourd'hui il n'y a plus de dette, le pays va bien et l'Islande n'est pas pour autant mis au ban des Nations. Avec l'Équateur, la sortie de la dette est passée par des élections. Le nouveau président, Rafael Correa, a dit aux créanciers : « je ne paie rien comme prévu. Vos titres de dette dans ces conditions ne valent rien. Je vous les rachète à 30 % de la valeur qu'ils avaient officiellement. » Et les créanciers pingres, plutôt que conserver des titres qui ne valent plus rien ont accepté. L'Équateur a racheté tous les titres de sa dette. Il n'y a plus de dette. Tout va bien. Sauf, sans doute, pour les sanguinaires créanciers qui ont « perdu » 70 % de ce qu'ils croyaient posséder.

Rafael Correa, qui est économiste, a donné le 6 novembre 2013 une conférence-débat à la Sorbonne à Paris. A la question de ce qu'il faut faire avec la dette, il a répondu en souriant : « d'abord, il ne faut pas suivre les conseils du Fond Monétaire International. »
 
Qu'ont fait les dirigeants grecs qui ont été élus le 25 janvier 2015 pour en finir avec l'austérité ? Exactement le contraire, et comment ça s'est passé ? La politique ici montre son visage, qui relève souvent de la psychiatrie. Car, cette austérité sans issue ne sert à rien. Si ce n'est à satisfaire les TOCS partagés entre un certain nombre de personnes : dirigeants et peuples.

Les dirigeants financiers et politiques favorables et inconditionnels de la dette, et de l'austérité qui lui est liée, sont ici attachés par leurs TOCS à une doctrine : l'ultra-libéralisme, la concurrence libre et non faussée, l'accumulation absurde et infinie de milliards d'euros qui ne serviront à rien. Cependant que des peuples entiers sombrent dans une misère artificiellement provoquée. Et qu'en est-il ici des dirigeants grecs ? Ils sont, hélas pour le peuple grec, attachés par leurs TOCS au fonctionnement des institutions européennes et à l'euro, qui n'est qu'une monnaie. C'est-à-dire juste un outil plus ou moins bon et rien de précieux ou irremplaçable.

Après que le 27 juin 2015, le ministre des finances grec Yanis Varoufakis se voit foutre à la porte de l'Eurogroupe qui va se réunir sans lui, que dit-il ? Que fait-il ? On lui a mis le pied au cul, pour lui signifier que les règles on s'en fout, l'essentiel est de vous écraser. Yanis, congédié comme un pas grand chose geint alors faiblement : « on va voir si c'est légal ». Alors qu'il faudrait répondre aux fouteurs de pied au cul : « vous vous en foutez des règles ? Alors, nous aussi, on nationalise nos banques et on cesse de vous obéir ! »

Puis, la nuit du 12 au 13 juillet 2015, se déroule ce qu'on a appelé « la négociation » entre le chef du gouvernement grec et les 18 autres chefs d'états « européens ». Cette séquence met en scène 18 personnes atteintes d'un TOC : l'attachement absurde à l'austérité, la dette, l'ultra-libéralisme. Et un dirigeant grec atteint d'un TOC différent : l'attachement passionnel au fonctionnement des institutions européennes et à l'euro. Le résultat est connu : au bout de 17 heures il finit par capituler.

Et le peuple grec dans tout ça ? Une proportion importante de celui-ci souffre également d'un TOC partagé avec ses dirigeants : l'attachement à l'euro.

Aujourd'hui, parmi les tenants les plus passionnés de l'austérité on trouve un homme d'état. Avec lui, inutile de chercher sa motivation principale dans la vie. Jeune, beau, riche et sportif, il a réalisé quand il était lycéen le fantasme d'une multitude de ses camarades : il a dragué sa prof. Mieux, il l'a même par la suite épousé. C'est son droit. Ça exprime aussi ici le fait qu'il a traduit sa terreur de sortie de l'enfance prolongée en y restant, d'une certaine façon.

On a très longtemps cherché quelle était la base de la politique et de l'économie. Par exemple existait au seizième siècle en Angleterre une théorie qui expliquait l'Histoire par les rois et leur succession. Marx a parlé de « la lutte des classes », etc. Mais, à la base de l'Histoire on a en fait le processus suivant :

Au départ, comme toutes les autres espèces animales, l'homme dispose pour se mouvoir dans la vie de son instinct. Vue la catégorie d'animaux à laquelle il appartient, les grands singes solidaires allant en groupe et capable de mordre, il n'a pas de prédateurs. Seuls les petits humains pourraient servir de proies aux fauves. Mais les petits humains sont justement dotés de la capacité de courir très vite pour, en cas de dangers, rejoindre le groupe et se placer sous sa protection. Les petits humains qui, dès l'âge de quatre ans environ, sont autonomes au sein du groupe, car capable de se nourrir seul.

Le « progrès », l'industrie humaine naîtra comme le produit du jeu. La naissance de l'industrie fera apparaître trois choses : le savoir, le savoir erroné ou erreur, et l'absence de savoir, l'ignorance. La transmission du savoir suscitera un trouble majeur chez les humains : l'enfance prolongée. Il faut du temps pour assimiler le savoir acquis par les humains. La sortie de l'enfance prolongée, comme l'entrée dans celle-ci, sera l'origine de la terreur intérieure. Les humains seront incapacités par elle. Cette terreur intérieure se traduira par des TOCS, dont beaucoup prendront un caractère collectif et dévastateur. Il en est ainsi, par exemple, aujourd'hui de l'attachement de millions de gens au système austéritaire ultra-libéral et à l'argent. Un attachement totalement irrationnel, dont les conséquences vont en s'aggravant. Il y a de plus en plus de pauvres de par le monde, alors que le monde n'a jamais été aussi riche. Les différents penseurs politiques et économiques, les acteurs politiques et économiques, sont limités par leurs TOCS pour percevoir la réalité. Ainsi, en 1872, Karl Marx a vu l'Association internationale des travailleurs à laquelle il contribuait, lui échapper. Avec d'autres, il l'avait créée pour parvenir à une société émancipée de tous les pouvoirs. Mais, souffrant du TOC du pouvoir, Marx avec ses amis ont alors intrigué pour créer une nouvelle association internationale dont ils resteraient les chefs et leaders. Plus tard, en 1914, la quasi-totalité des différentes sections de cette nouvelle association ont abandonné le combat émancipateur pour lui préférer la guerre. Et ainsi de suite, quand on veut améliorer le monde, les TOCS vous rattrapent à chaque fois. Si on veut vraiment faire avancer le monde, il faut commencer par prendre conscience des TOCS. Et s'en débarrasser au profit de l'amour du genre humain. En politique, quoi de neuf ? Jésus !!

Basile, philosophe naïf, Paris le 25 octobre 2015

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