mardi 27 octobre 2015

440 Pourquoi en politique ça n'avance pas ?

Il y a aujourd'hui des problèmes politiques importants, il y en avait hier aussi, avant-hier également, avant-avant-hier et demain très certainement. On peut se raconter ce qu'on veut pour se faire plaisir, se rassurer, se dire que ça avance quand même. Mais, à regarder bien, les problèmes souvent ne se résolvent que peu, pas ou guère. Ils se déplacent. Ça va mieux là. Telle chose va mieux, mais une autre s'aggrave. Et la masse des gens ne réagit pas. Cependant que les dirigeants n'arrivent pas à des résultats probants. Comment expliquer ce piétinement qui n'en finit pas ? D'abord, la masse ne bouge pas pour deux raisons. L'une est positive, l'autre ne l'est pas. La raison positive est que la masse foncièrement aspire à la paix, la tranquillité, l'évitement des conflits, les solutions douces et pacifiques. Elle espère que tout finira bien par s'arranger sans bagarres. Elle veut rester optimiste malgré tout ce qui lui arrive.

Qu'est-ce que l'espérance, l'optimisme et ses contraires : la désespérance, le pessimisme ? On leur donne des explications chimiques. Mais elles sont autant satisfaisantes que prétendre résumer une joyeuse soirée amicale dîner réussie avec une explication technique du mécanisme digestif.

La raison négative qu'à la masse pour ne pas réagir à ce qui la tourmente est d'adopter une identité négative : « nous souffrons parce que nous appartenons à ceux qui souffrent toujours. Il y a des profiteurs qui nous tourmentent, mais il y aura toujours des profiteurs. La Nature est ainsi. »

De temps en temps se passe une sorte de court-circuit dans la conscience de la masse. Alors elle se révolte. Pour revenir ensuite au calme. On l'a bien vu ainsi par exemple en mai et juin 1968. En mai et juin 1968 des motifs de mécontentement déjà anciens ont poussé à la grève dix millions de personnes, ont poussé à la manifestation quelques millions d'entre elles. Et puis, tout est retourné à « la normale ». Une affiche de juin 1968 figurait un troupeau de moutons surmonté de l'inscription : « Retour à la normale ».

La masse est ainsi. Mais, comment fonctionnent ses leaders, ses dirigeants politiques ? Voyons un exemple de sa conduite par rapport aux prix des produits alimentaires. Ceux-ci, en, France, en particulier à partir du 1er janvier 2002, date maudite de l'arrivée de la monnaie actuelle, ont grimpé à une vitesse folle. La vie n'a jamais été si chère. Et la faim est reparue comme fléau dans notre pays. Pourtant, à la production, les produits n'ont pas augmenté de prix. Ils ont même souvent reculé. La cause de cette situation est connue : c'est « la grande distribution ». Elle règne, décide d'acheter aux producteurs aux prix les plus bas, vendre au consommateur, nous, le plus cher possible. Et payer ses employés le moins possible. La seule solution pour arrêter ces abus consiste à créer un service public de la grande distribution, en expropriant les quelques sociétés qui sont à présent responsables de la cherté des produits alimentaires. Cette démarche de salut public élémentaire étant incompatible avec les « règles européennes » implique également la rupture d'avec les traités européens. Aucun parti politique français, fut-il autoproclamé révolutionnaire, ne préconise la création pourtant évidente d'un service public de la grande distribution. Les différentes partis politiques parlent au mieux d'augmenter les salaires. Mais le système est un : d'un côté les salaires sont bloqués. De l'autre, les prix montent. On appelle ça : « la dévaluation intérieure ». Autrement dit la promotion de la misère pour le plus grand nombre, qu'il travaille ou pas.

L'explication de ce désintérêt des partis politiques pour changer le fonctionnement de la grande distribution ne se trouve pas dans un complot quelconque. Elle est beaucoup plus simple.

Les dirigeants politiques, comment vivent-ils ? En général, ils vivent plutôt bien. Les prix excessifs des produits alimentaires ne les touchent absolument pas. Quantité de dirigeants sont des élus rémunérés, d'autres, des permanents municipaux rémunérés, ou des permanents d'organisations politiques. Ils ne sont pas à plaindre socialement. Pour eux, le prix des patates ou des fruits ne représente pas un problème. Vers quoi vont-ils alors se tourner comme thèmes de mobilisations de leurs « troupes » ? Des sujets qui marquent moralement, qui accrochent : non pas le prix des patates, mais tel conflit dans le monde. Le récit des malheurs du peuple machin rempli les journaux télévisés. La souffrance du peuple truc est proverbiale. Solidarité avec le peuple machin ! Ou bien : « ne nous laissons pas envahir par les réfugiés du peuple truc qui fuient un conflit et commencent à abonder à nos frontières ! »

Le peuple machin ou truc, voilà des sujets qui mobilisent. Et pourquoi mobiliser ? Pour une cause juste et généreuse ou injuste et égoïste ? En fait, ni l'un ni l'autre, l'essentiel est que cette agitation augmente la visibilité de ceux qui l'impulsent. Et leur confère... plus de pouvoir. Le but en fait est là : augmenter son pouvoir. Et peu importe au fond ce qui arrive aux peuples machin ou truc.

J'ai été étonné de rencontrer cette manière de penser. Un jour, je me retrouve dans le métro avec un groupe retour d'une manif. La manif a gagné. De quoi parlent les manifestants ? De leur victoire ? Absolument pas. Un des manifestants, visiblement un dirigeant, égrène avec délectation toutes les réunions qu'il va à présent organiser. Et je sens que pour lui, ce n'est pas la victoire qui lui importe, mais la masse de réunions où... je l'ai compris treize ans plus tard, il sera « la vedette ».

Une autre fois, dans une cafétéria je me suis retrouvé à côté de deux militantes qui parlaient de réunions tenues dans leur organisation. Une des deux retraçait des confrontations survenues dans ce cadre avec un plaisir qui révélait que, plus encore que les buts poursuivis, c'était la position dominante obtenue par elle qui lui importait. Encore une fois, la recherche du pouvoir motivait ici plus que les buts déclarés de l'organisation.

Le plus étonnant que j'ai rencontré fut dans une conférence. Un vieux militant racontait une période militante politique de sa jeunesse très très dure, avec tortures, tabassages, meurtres... pour finalement s'exclamer : « ça était la plus belle période de ma vie ! » Comment ça ? Une période ultra-violente, avec des meurtres, serait une belle période ? Oui, parce que, sans s'en rendre compte, ce vieil homme exaltait la période où il a eu de l'importance, était un chef, encore une fois l'obsession du pouvoir et de sa jouissance.

Tant que la plupart des dirigeants politiques poursuivront d'abord et avant tout la recherche du pouvoir, il n'y a aucune raison qu'ils parviennent à faire avancer les choses.

La recherche du pouvoir est une maladie. Les hommes de pouvoir ne sont pas heureux. Mais il leur est impossible le plus souvent de renoncer à leur drogue.

Louise Michèle disait que le pouvoir corromps. Ce n'est pas tout à fait vrai. Certaines personnes sont comme des sortes de porteurs sains du virus du pouvoir. Dans certains cas la maladie se développe. Je l'ai vu dans le cadre des associations à but non lucratif déposées selon la loi de 1901. Il faut voir avec quelle gourmandise des messieurs d'un certain âge s'adressent la parole entre eux : « Cher Président »... Pour devenir président d'une association on voit couramment des adhérents faire la guerre au président en place. S'ils parviennent à leur but, ils peuvent se désintéresser de l'association qu'ils ont traumatisé par leur combat. Et se retirer en laissant crever l'association. Dans une très petite association avec une poignée d'adhérents et presque pas d'argent en caisse, les luttes de pouvoir peuvent se révéler acharnées, furieuses, impitoyables... Alors, s'ils s'agit de grandes organisations, de commander des états entiers, imaginez le genre de catastrophes que ce genre d'appétit de pouvoir peut amener. Tant que la maladie du pouvoir sera omniprésente en politique, rien n'avancera vraiment. Et le problème du pouvoir est d'abord dans la tête de la plupart des gens avant d'être ailleurs. Il est malheureusement quasi général. À chacun de savoir s'en débarrasser !

Basile, philosophe naïf, Paris le 27 octobre 2015

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