lundi 23 novembre 2015

469 L'insouciance n'est pas l'indifférence

L'insouciance est une valeur essentielle à défendre contre la morosité, l'angoisse, l'anxiété, le catastrophisme. L'insouciance n'est pas l'indifférence, mais le refus de se « prendre la tête » en permanence avec tous les malheurs du monde. On peut très bien être conscient des problèmes du monde et se distraire et s'amuser. Renoncer à la distraction n'empêchant pas ces problèmes d'exister. Pour vivre il faut savoir s'en abstraire. Sinon ça signifierait laisser toute la place existante aux malheurs du monde. Et comme ils ne sont pas prêts de s'interrompre, ça signifie renoncer à vivre vraiment, tout simplement.

Certains prétendent qu'il faut « partager » les malheurs des autres. Qu'est-ce que ça veut dire ? Une anecdote chinoise me revient à ce propos. Elle se passe à Pékin vers 1900. Un diplomate européen glisse et tombe dans la boue dans une rue de Pékin. Cette mésaventure se passe juste devant deux importants dignitaires chinois, des mandarins vêtus de superbes tenues en soie. Ces deux mandarins se roulent aussitôt par terre dans la boue pour ne pas que l'Européen se sente humilié devant eux. Ils partagent son malheur... Mais, est-ce bien raisonnable ?

Devons-nous faire pareil au sens figuré quand un ennui touche quelqu'un de proche ? Se sentir autant que possible aussi triste que lui ? Est-ce la meilleure façon de soutenir son moral ? Je pense que non. Au contraire, aider consiste à faire penser à autre chose. Pour ma part, j'ai réussi il y a des années à faire rire un ami qui vivait un deuil cruel. Ce qui lui a fait du bien. Au lieu de le laisser s'enfoncer dans sa tristesse, je l'ai hissé hors de celle-ci le temps où il a ri grâce à moi. Il en est resté étonné. J'ai su par la suite qu'il avait confié à un ami commun : « tu te rends compte ? Il a réussit à me faire rire ! »

Un autre domaine où sévissent les empêcheurs de vivre, est celui de la peur. Un fameux trouillard disait un jour : « ignorer la peur, c'est de l'inconscience. Il faut avoir peur ! » Cette personne joue sur les mots pour justifier sa trouille. En fait, on peut être prudent, conscient des dangers et précautions à prendre, et ignorer la peur. J'ai une très belle anecdote à ce propos.

Une jolie fille rentre chez elle seule le soir dans un quartier désert. Un jeune homme inconnu la suit. La rattrape et lui fait une clé au cou. Visiblement c'est un maniaque sexuel. La jeune fille ne s'affole pas et commence à lui parler doucement. Elle l'interroge : « qu'est-ce que tu fais ? » Elle lui parle, lui fait la morale avec des termes mesurés, et, ça aurait pu ne pas marcher mais ça marche. Elle lui fait prendre conscience du caractère désordonné de sa conduite. Tant et si bien qu'il fini par la lâcher et laisser partir. Elle se serait affolé, aurait crié, ça se serait certainement très mal terminé. Cette jeune femme m'a raconté une mésaventure du même ordre arrivée à une copine à elle comédienne. Cette comédienne rentre tard le soir dans un quartier désert et réalise qu'un homme la suit. Alors, elle entreprends d'avoir le comportement le plus répugnant possible. Se mettant un doigt dans le nez et slurpant sa morve, se grattant bruyamment, etc. Tant et si bien que l'apprenti sadique qui la suivait fini par s'en aller dégouté, abandonnant celle qu'il avait choisi pour proie.

En fait il faut savoir ce qu'on entend par « ignorer sa peur ». On peut très bien décider d'ignorer sa peur et le faire très raisonnablement. Il m'est arrivé une petite histoire illustrative de cette démarche. Je suis monté à pied faire l'excursion jusqu'en haut du pic du Midi de Bigorre. Seul, à l'aller, pas fier, je me trainait plus ou moins à quatre pattes ou sur les fesses dans les passages de caillasse. Au retour, j'avais rencontré un homme âgé qui redescendait en même temps que moi. Je me suis dit : « il ne faut pas que je lui fasse peur en ayant visiblement peur de tomber et me faire mal. » Résultat : dans les passages de la descente un peu difficile, dans la caillasse, je réussissais parfaitement et facilement à marcher debout sur mes deux jambes.

Basile, philosophe naïf, Paris le 23 novembre 2015

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