samedi 28 novembre 2015

474 Initiatives humaines et troupeau humain

La nuit du 24 au 25 novembre 2015, j'ai fait un rêve en forme de message. Il était énoncé ainsi avec beaucoup de précision :

« Si on considère que tous les humains qui se contentent de suivre et ne prennent pas d'initiatives – y compris ceux qui travaillent 18 heures par jour et se lèvent la nuit pour aller bosser, – sont de grosses feignasses.

« Si on ne prend en compte comme humains que les humains qui prennent des initiatives. »

« Combien y aurait-il d'humains à compter sur Terre ? 10 000.

« La plupart des enfants s'emmerdent à l'école. »

« L'ennui de ces petits bouchons est une tragédie. »

« Si on leur apprenait à l'école avec, par exemple, des petites saynètes, des petites pièces de théâtre jouées par les enfants, à prendre des initiatives, ce serait déjà bien. »

Juste après mon réveil je réfléchissais au message délivré par ce rêve et considérais deux exemples illustratifs de cette absence d'initiatives chez les humains. L'un, c'est la renaissance des goguettes, l'autre celle du Carnaval de Paris. Je m'efforce depuis 2011 de faire renaître les goguettes, petites sociétés festives et chantantes comptant moins de vingt membres. Et, depuis 1993, j'œuvre à la renaissance du Carnaval de Paris.

J'ai retrouvé la base traditionnelle de la fête en France : la goguette. Ce sont des petits groupes festifs et chantants se réunissant ponctuellement pour passer un bon moment ensemble, boire, manger et chanter des chansons. Leur renaissance ne demande ni argent, ni efforts importants, ni local, ni logistique, ni dépôt de statuts. J'en parle depuis quatre ans sans guère de résultats. Pourquoi ? Parce qu'en créer une nécessite de prendre une initiative. Je l'ai fait avec une goguette que j'ai créé : la Goguette des Machins Chouettes. Pourquoi la naissance d'autres goguettes se fait-elle attendre à ce point ? Pourquoi mon message a du mal à passer ? Parce que, pour le suivre, il faut renoncer à suivre le troupeau humain qui se lamente à propos du manque de communication et de festivité, et agir. Prendre une initiative. Mais, même sans risques et pour le plaisir, la seule initiative, de par sa nature-même impressionne et fait peur. C'est tellement plus rassurant de suivre le troupeau !

Ceci explique en général pourquoi une activité ou une mode interrompue un certain nombre d'années a du mal à redémarrer quand des efforts sont faits en ce sens. Ce qui n'est plus à la mode, même de qualité, a tendance à être rejeté, délaissé. Quand j'étais petit, dans les années 1950, les chevaux de trait, ou porter des sabots, c'était ringard. Aujourd'hui, ça fait chic et écologique. Le Parisien en raffole. Il suffit dans une animation de rue de ramener quelques animaux de ferme, une vieille batteuse à vapeur et il y a foule !

Le second exemple frappant mentionné, illustrant le comportement de troupeau des gens – ici les Parisiens, – et leur peur de prendre des initiatives, c'est la renaissance du Carnaval de Paris. En 1993, je prends l'initiative de la renaissance de cette vieille et grande fête oubliée. A l'époque, c'est de l'archéologie. Personne n'en parle. Les mots « Carnaval de Paris » n'apparaissent nulle part. Le dernier cortège organisé et traditionnel carnavalesque parisien est sorti à petite échelle le dimanche 20 avril 1952 dans le 19ème arrondissement. Je commence mes recherches et démarches. Réalisant que les politiques, apparemment très favorables, à lire leurs courriers en réponse aux miens, ne vont rien faire de concret, je décide d'organiser un cortège de renaissance.

Je rassemble quelques supporters pour créer une association. Nous sommes le 23 juin 1994.

Ce soir-là, à un moment donné je déclare : « bon, alors, nous décidons de sortir le défilé de renaissance le dimanche 6 mars 1995. » Et alors là, réaction unanime de mes deux interlocuteurs et silence de la troisième personne participant avec moi à la réunion.

« Ah non, avant de prendre une décision, il faut voir comment les politiques considèrent la question ! »

Tel est le propos qu'on me tient. Je réalise alors que mes amis ont peur de décider de défiler. Je n'insiste pas. On décide de créer une association. Et, quelques temps plus tard, suite à une lettre de Dominique Blatin, Commissaire général du Concours général agricole, je le rencontre. Quand je lui évoque l'organisation d'un cortège du Bœuf Gras à Paris, il me réponds : « je ne peux pas vous empêcher de prendre l'initiative d'organiser un cortège du Bœuf Gras à Paris. » Réponse qui, n'étant pas approbative, le met à l'abri d'une demande éventuelle de soutien financier venant de ma part.

Je quitte l'entretien et après rédige un tract où j'annonce que, suite à cette rencontre, j'ai décidé de sortir le cortège du Bœuf Gras le 6 mars 1995. Quand je fais lire mon tract, que j'ai déjà commencé à diffuser, à un des deux amis présents à la réunion de juin, il s'étrangle presque. « Ah bon ? Tu as écrit ça ? » Mais il n'ajoute rien. Et voilà comment j'ai pris l'initiative du retour du Carnaval de Paris. Si j'avais attendu l'avis des politiques, je n'aurais rien fait. Parce que les politiques – en tous les cas la plupart d'entre eux, – détestent la fête vivante et le Carnaval en particulier. Qui est chez nous la plus belle des fêtes. Et pourquoi cette hostilité ? Parce que de telles fêtes sont remplies de nombreuses petites initiatives. Et les politiques ont horreur que les électeurs prennent des initiatives. Il faut qu'ils se contentent de former le troupeau compact et votant qui les porte au pouvoir.

Chez les politiques existe aussi le comportement de troupeau. On défend une orientation politique. Mais elle ne doit jamais être trop audacieuse. Ressembler à une vraie initiative. Je connais un très célèbre exemple à ce propos.

En juin 1940 la France est vaincue militairement par l'Allemagne. Paris est occupé. Le gouvernement français s'installe à Vichy. De son côté, un général cherche à poursuivre la lutte. De Gaulle n'est que simple général de brigade à deux étoiles. Il est très loin d'être le plus haut gradé de l'armée française. Il va alors solliciter un certain nombre de hauts militaires français pour leur suggérer d'appeler à poursuivre le combat. Ils vont tous répondre qu'ils se soumettent aux ordres de Vichy. Vichy qui reconnaît la défaite et préconise une politique de collaboration avec le vainqueur.

En désespoir de cause, De Gaulle se résout à lancer lui-même l'appel à résister. C'est son célèbre « Appel du 18 juin 1940 ». Il passe à l'époque inaperçu d'un très grand nombre de personnes concernées.

Quelques temps plus tard, recevant un de ses premiers partisans à Londres, De Gaulle dira : « vous voyez, mon cher Cassin : la France libre, c'est six personnes et deux machines à écrire. »

Pour dénigrer l'action du général, les partisans de Vichy vont baptiser De Gaulle « le général micro ». Sous-entendu qu'en dehors de son micro à Radio Londres, De Gaulle ne représente absolument rien.

Et c'est grâce à son initiative le 18 juin 1940 contre le troupeau défaitiste que De Gaulle pourra affirmer la présence de la France dans la guerre. Les États-Unis, considérant que le gouvernement français avait collaboré avec l'Allemagne firent préparer de la monnaie d'occupation qui devait entrer en usage en France en tant que pays occupé par les alliés. De Gaulle va interdire son usage.

Et, le 8 mai 1945, à la signature de la capitulation allemande à Berlin, la France est représentée par le général De Lattre de Tassigny. Au dernier moment, on s'aperçut, avant l'arrivée des représentants allemands vaincus, qu'il manquait un drapeau au côté de ceux des autres puissances vainqueurs. Il n'y avait pas de drapeau tricolore français. Vite, un officier français prit du matériel de couture et confectionna un drapeau français. Il était plus petit que les autres drapeaux alliés, mais, accroché comme on pouvait, il était devant les autres.

A leur arrivée les représentants militaires allemands étaient furieux d'apercevoir les Français : « ah, ils sont là aussi, ceux-là ! » Ça n'a pas été leur seul motif d'énervement ce jour-là.

Tout ceci, et aussi la célèbre descente triomphale de l'avenue des Champs-Élysées le 26 août 1944 par De Gaulle est arrivé grâce à un acte : son initiative de lancer l'appel du 18 juin 1940, refuser la défaite, continuer le combat. Et où était les autres politiques français ? Un grand nombre suivait le troupeau qui acceptait la défaite. Encore un exemple de ce qu'est l'initiative et l'absence d'initiatives.

Pour résister à l'Allemagne nazie en 1940-1945 on risquait le pire. Pour résister aujourd'hui aux directives « européennes » calamiteuses et aux diktats du MEDEF on ne risque rien. Mais nos dirigeants politiques ne prennent aucune initiatives en ce sens. Ils suivent le troupeau dont ils font partie. Et qui nous mène au désastre économique et social.

Idem le jeune et beau Alexis Tsipras en Grèce. Quand en 2015 il fallait prendre l'initiative de rompre avec la troïka, il s'est couché. Pourquoi ? Parce qu'il était incapable de prendre l'initiative de se battre. Initiative qu'ont su prendre d'autres hommes politiques ailleurs, en Bolivie ou en Équateur.

Quand j'ai passé des années à chercher à faire renaître le Carnaval de Paris, œuvre où on ne risque rien, j'ai pu apprécier à quel point on trouve des gens qui ont peur de prendre des initiatives. Et pas seulement lors de la réunion du 23 juin 1994. Durant des années, parmi ceux disposant de leviers importants pour débloquer la situation, il n'y a eu personne qui ait décidé de m'aider.

Le cortège, prêt à défiler en février 1995 a été interdit. Il fallait un soutien élevé pour arriver à faire lever l'interdiction. Personne ne s'est hasardé à le faire. Et ça a duré des années !

Jusqu'à ce qu'un politique atypique : Alain Riou, s'est engagé pour la renaissance du Carnaval de Paris, fin 1997.

A la différence de la plupart des politiques, Alain Riou était capable de prendre et prenait des initiatives. C'est ce qui le faisait apprécier ou détester selon les personnes auxquelles il avait affaire.

Notamment il fut en conflit au sein de son propre parti, le parti socialiste. Les élections municipales de 2001 approchaient. Et, élu municipal de ce parti, il réalisa qu'il allait être présenté en position non éligible. Alors, pour rester élu et pouvoir faire quelque chose, il prit la très difficile initiative de quitter son parti et rejoindre les Verts. Alain m'a raconté qu'ensuite, entre les deux tours des élections municipales parisiennes de 2001, le maire socialiste du 20ème arrondissement vint voir les Verts pour leur dire de placer Alain en position non éligible sur la liste commune Verts-socialistes. Les Verts lui répondirent qu'ils étaient libres d'agir autrement !

Quand Alain fut réélu en 2001 en qualité de représentant des Verts, il me raconta très amusé que certains lui avaient dit : « le Carnaval de Paris, c'était un bon truc pour te faire réélire ! A présent tu vas le laisser tomber, bien sûr ! »

Alain considérait que la plus belle chose qu'il avait réussi c'était la renaissance du Carnaval de Paris. Il est mort le 6 décembre 2004. Le Carnaval continue. Il n'a plus un politique en tant que responsable officiel, mais un artiste peintre, poète et philosophe.

Le comportement de troupeau et l'absence d'initiatives chez les humains sont particulièrement éclatant dans d'autres domaines que la politique ou le Carnaval. Dans le domaine dit « de l'amour » c'est vraiment un phénomène courant.

Quand j'ai eu 26 ans, un gars de mon entourage m'a déclaré tranquillement : « tu as 26 ans, il serait temps que tu penses à te marier. » Ce qui m'a frappé dans ce conseil, c'est qu'il ne s'inquiétait nullement de savoir si j'aimais quelqu'un. J'avais 26 ans... et hop ! Il était temps de me marier.

Dans un milieu que je fréquente, je me retrouve célibataire. Et une dame d'un âge proche se trouve être seule dans la vie. Elle ne m'intéresse d'aucune manière. Et voilà que l'entourage se met à exercer des pressions, notamment verbales, à la limite de la grossièreté, pour voir s'arranger le couple ! Sans me demander ce que j'en pense ! Encore l'instinct de troupeau qui se manifeste.

Après quelques années de vie commune avec une amie m'arrive une rupture. Dans ces conditions, il existe un risque : vu le manque et le vide soudain, de tomber dans les bras de la première personne venue. Avec tous les inconvénients qui relèvent du couple mal assorti. Conscient de ce problème, auquel j'ai déjà été confronté, je déclare après cette rupture : « il n'y aura rien avant au minimum six mois. Je resterais seul, sauf événement vraiment extraordinaire. » Les personnes auxquelles j'ai annoncé ma décision ont paru choquées. Pour elles, si je me retrouvais seul après une vie de couple de plusieurs années, je devais logiquement me précipiter pour « retrouver quelqu'un ». Et bien non.

J'ai été amoureux transi et malheureux d'une femme durant onze ans. Finalement c'est passé. Un jour que je lui dit : « heureusement que c'est terminé », cette femme a paru surprise et offusquée.

J'ai vu dans une sorte de camp de vacances arriver une jeune fille au physique de mannequin. Tout un groupe d'hommes s'affole alors et paraît avoir pour idée fixe de coucher avec. Au point que ça m'a parut odieux, ridicule et caricatural. Parmi ces hommes, certains étaient par ailleurs en couple.

Tous ces comportements sont des comportements de troupeaux. Ne pas réfléchir. Suivre les règles et la morale effective dominante. Aucun sens critique, aucune remise en question des idées reçues dans le domaine de « l'amour ».

Ce comportement de troupeau se rencontre partout. J'ai connu un étudiant issu d'une famille aisée. Un jour, lui, qui ne manque de rien, prend un travail pénible et mal payé. Pour quelle raison ? Pour des raisons idéologiques : « il faut, il est bien de travailler, tout le monde travaille, ceux qui ne travaillent pas sont des parasites, quand on travaille on est récompensé par un salaire. » Il n'a en fait aucun besoin de travailler. Même pas pour devenir indépendant de ses parents. Car il ne sait que faire de son salaire et continue à vivre aux crochets de ses parents aisés. Sa paie ne lui sert pas ou guère. Mais il a la satisfaction de « faire comme tout le monde ». C'est une chose que j'ai vu.

Quand on accepte de prendre des initiatives, la vie change. Il y a une quantité de choses possibles et positives qu'on ne fait pas parce qu'elles sortent de la pratique commune. Et des choses pacifiques qui ne troublent pas particulièrement la vie des autres. Mais prendre des initiatives en soit fait peur à la plupart des individus.

Entre être un individu indépendant ou un mouton râleur, quantité de gens préfèrent le second choix. Qui les rassure. Il existe une jolie fable de La Fontaine : « Le loup et le chien ». Notre société est remplie de chiens et compte très peu de loups. Je préfère être un loup plutôt qu'un chien.

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 novembre 2015

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