lundi 1 mai 2017

748 Un viol et ses suites

Pour saisir la pensée humaine dominante, il est souvent très intéressant de se pencher sur l'étymologie des mots utilisés. Ainsi l'étymologie du verbe violer : on relève ce mot dans un ouvrage manuscrit intitulé Quatre livre des Rois et datant de l'année 1170. Il a alors le sens de « abuser d'une femme » . Il est emprunté au latin violare « traiter avec violence », « violer », « profaner, outrager », mot dérivé du latin vis « force, violence ». Violer ne concerne donc ici que les femmes...

Pourtant on peut violer un homme ou un petit garçon. J'étais justement un petit garçon quand ça m'est arrivé. J'ai pensé par la suite, comme je n'ai pas noté la date à l'époque, que j'avais alors huit ans. En y réfléchissant plus je crois que c'était plus tôt dans ma vie. Je devais alors avoir sept ans. Ça s'est donc passé il y a presque soixante ans. Ça a tout cassé, mais je m'en suis plutôt bien sorti. Car je suis vivant après avoir été très longtemps suicidaire, sans parvenir à comprendre pourquoi.

Généralement on ne parle pas ou on parle peu de ce genre d'histoires. Pourtant c'est le silence, le fait de se taire qui fait sans doute le plus mal. De victime on devient « coupable ». On a honte d'avoir été agressé ! Un comble ! Encore faut-il parvenir à réaliser ce qui s'est passé et les conséquences de ce qui s'est passé. Chez moi ça a mis du temps. Pour en prendre conscience il m'a fallu plus de quarante ans.

Les conséquences de la série d'agressions que j'ai subi ont été incalculables. Alors que j'avais des idées, une conception de la vie très traditionnels : mariage, fidélité, famille, travail... j'ai tout raté. Je n'ai eu ni réussite professionnelle, ni famille. Si j'étais tout à fait « classique » je pourrais me plaindre en disant qu'ainsi « j'ai raté ma vie ». En fait heureusement ma manière de penser n'est pas complètement classique. Par exemple, croyant à la réincarnation je ne dirais pas : « j'ai raté ma vie », mais plutôt : « j'ai plus ou moins raté cette vie dans le domaine matériel, on verra quelque chose de mieux et différent dans la prochaine. » Je reste de toutes façons optimiste, c'est dans ma nature. Et puis tous les hommes et toutes les femmes n'ont pas tous des enfants, ils n'ont pas pour autant forcément « raté leur vie ». Je fais de bonnes choses, j'ai de très bons amis et j'aime mon prochain. Ce qui me donne beaucoup de satisfactions. Et à défaut de m'occuper de « ma famille », des enfants que je n'ai pas, et des petits-enfants que je n'ai pas non plus, je m'occupe agréablement des autres qui appartiennent tous à mon immense famille humaine, pas simplement à « ma descendance ». Et faire profiter d'autres de ce qu'on sait, ses idées, son expérience, son soutien moral, n'est-ce pas déjà en faire ainsi un peu « ses descendants » ?

À l'âge de sept ans j'ai été violé. À vingt-sept ans j'ai eu un accident de moto. À trente-deux ans j'ai été attaqué par un voyou armé d'une bouteille qui m'a volé ma montre et mon argent. Il n'y a pas plus de honte à déclarer qu'on a été violé, qu'on a eu un accident de la route ou qu'on a été attaqué et dévalisé par un voleur. Pourtant de nos jours et traditionnellement c'est une honte d'avouer qu'on a subi un viol, et pourquoi donc ? Je n'avais rien demandé. N'ai pas compris ce qu'on me faisait subir, ni n'ai très longtemps compris les conséquences et leur ampleur catastrophique. J'ai connu une peur permanente qui m'a handicapé durant plus de quarante ans. Et je devrais en avoir honte ?

Quand j'étais déjà grand, ma mère m'a dit un jour, intriguée : « tu sais, petit tu riais tout le temps, et puis un jour, soudain, ça a cessé. Pourquoi ? » Elle attendait une réponse. Je ne la connaissais pas encore. Je pense ici à une petite fille qui m'a dit un jour : « je souriais tout le temps, avant... » Avant quoi ? Elle ne me l'a pas dit. Et dans l'état psychologique traumatisé où je me trouvais, je ne risquais pas de demander des précisions. Aujourd'hui je pense qu'elle a certainement été violée. C'est à présent une mère de famille. Elle mange de trop et est un peu obèse. Moi, je sais pourquoi.

Cette femme ne racontera pas sa vie. Fera comme si de rien n'était. Elle n'osera pas parler. C'est aussi pour elle et tous ceux et celles qui se taisent et n'osent pas parler que je prends aujourd'hui la parole. Sortez à la lumière ! Faites votre « coming out » de violé !

La société patriarcale où nous vivons n'aime pas être dérangée dans son fonctionnement. Les violés doivent se taire. Quand ils parlent il faut voir aussi ce qu'on dit d'eux. Quantité d'écrits proclament que le viol incestueux est « un meurtre psychique ». Cruel propos, car si vous avez été violé dans le cadre familial, que vous reste-t-il à faire ? Vous suicider ? Si vous êtes tué psychiquement, autant en finir tout à fait ? C'est quoi ce discours criminel et pseudo-dénonciateur, pseudo-solidaire des victimes ? Il sert à faire disparaître les victimes et témoins et assurer l'impunité des coupables ?

La base du viol est le patriarcat : le droit et devoir des hommes de « posséder » les femmes et même au delà, les enfants passent parfois aussi à la casserole. Il y a un propos particulièrement ignoble que je veux dénoncer ici. Quand un adulte agresse sexuellement des gosses, on proclame pratiquement systématiquement que s'il mal agit ainsi, c'est parce qu'il a subi enfant la même chose. J'ai été agressé enfant. Ce genre de propos ne m'a pas laissé indifférent. Il m'a même fait beaucoup souffrir, pourquoi ?

Pour deux motifs : l'un est que j'ai hésité à déclarer ce qui m'était arrivé en me disant : « oui, mais alors, si je révèle que j'ai été violé enfant, on va me soupçonner d'être un violeur d'enfants au moins potentiel. Un monstre par vocation qui ne saura pas résister à d'horribles desseins. » L'autre motif est pire encore : « si c'est vrai que les violés enfants devenus adultes deviennent violeurs d'enfants, alors je suis un monstre qui s'ignore. Un jour fatalement je commettrais des actes horribles. »

Il a fallu attendre l'âge de soixante-six ans et le jour où j'écris ce texte pour me débarrasser de ces abominables conneries. Je me suis simplement fait remarquer à moi-même la très simplissime chose suivante : « je n'ai jamais violé d'enfant ni n'ai ressenti le moindre désir de commettre un crime pareil. » Alors tout ce discours sur les violés enfants devenant fatalement violeurs d'enfants d'où sort-il ? De la volonté de dissimuler la cause réelle des viols : la morale patriarcale, qui donne aux machos leur queue pour arme et outil de domination. Domination que leur cerveau détraqué conduit des fois à étendre jusque y compris les enfants en les agressant.

La morale patriarcale oblige, ordonne aux hommes d'être « à la hauteur », « d'honorer » les femmes, etc. Dans les années 1970, la pilule aidant, nous avons connu la grande farce de « l'amour libre ». La « liberté » en question consistait en l'obligation de baiser le plus possible avec le plus grand nombre de partenaires possible. J'aurais pu passer à travers sans trop de dégâts, handicapé que j'étais par la peur issue des agressions subies durant l'enfance. Mais j'ai du alors subir le déniaisage stupide que m'ont infligé ma mère et le médecin de famille en me précipitant dans les bras d'une vague copine. Quand je suis parti en vacances en camping avec elle, je me disais, résigné : « il faudra en passer par là. » J'en suis passé par là. Ça m'a compliqué encore un peu plus la vie. Bravo la mère et le docteur ! Et si j'étais resté « puceau » y compris jusqu'à aujourd'hui où j'ai soixante-six ans, où aurait été le problème ? C'est quoi, cette histoire de baise obligatoire ? Quant à cette parfaite foutaise de « l'amour libre », elle n'a pas résisté à l'arrivée du SIDA.

Avec l'invasion pornographique, il semblerait que de nos jours beaucoup de jeunes gens et jeunes filles croient intelligents d'imiter les vidéos. C'est sans doute ce qui a amené récemment une jeune, fraîche et jolie fille à me faire des avances précises. Auxquelles je n'ai pas donné suite, car elles ne correspondaient à rien comme sentiments et menaient à une pratique très sommaire des câlins. Elle voulait « se faire » un ami de sa mère. Conduire une recherche archéologique dans le domaine du sexe. Je n'ai pas donné suite à son projet. Il ne s'est rien passé. Elle ne s'en est nullement offusqué. Nous sommes restés les meilleurs amis du monde. J'ai atteint une certaine maturité et arrive à en faire profiter d'autres. Puisse ces deux pages écrites aujourd'hui en témoigner.

Basile, philosophe naïf, Paris le 1er mai 2017

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