jeudi 4 mai 2017

752 Le patriarcat source de tous les conflits

Je ne suis pas né imprégné de patriarcat. On me l'a inoculé comme un méchant poison. Qui ? Ceux qui devaient justement me protéger le plus : ma mère et le médecin de notre famille. Ces deux apprentis-sorciers étaient eux-mêmes patriarchisés. Le patriarcat ils en étaient porteurs comme des centaines de millions d'autres. Quand on est porteur du patriarcat, on n'a pas conscience de ce que c'est. Il paraît aller de soi. Être une donnée naturelle, logique, bienvenue, incontournable, culturelle, identitaire, précieuse... C'est en fait comme un programme parasite qu'on introduit en catimini dans un bel ordinateur qui serait vous, moi ou un autre, et qui ensuite vous pourrit la vie et vos relations.

Le patriarcat se caractérise par un état de baise permanente chez l'homme. Son programme parasite lui sérine dans la tête qu'il faut, il doit, il peut fourrer son pénis dans le vagin d'une femme ou d'une autre, même pourquoi pas ? de toutes les femmes «  séduisantes » et que c'est très bien. Ce serait la plus agréable, nécessaire, belle des choses obligatoires. Le faire avec une telle démarche, pas par désir et amour réciproque, c'est violent, vulgaire, infâme, ignoble, brutal. Pour justifier cette connerie-saloperie on répétera inlassablement que c'est soi-disant la « Nature » qui veut ça.. Elle a bon dos, la « Nature ». Celle que par exemple invoquent des myriades d'hommes qui se sont levés avant le soleil grâce à la sonnerie du réveil-matin et boivent en Europe dans une tasse en terre-cuite émaillée un café chaud et sucré avec du sucre raffiné. Toutes choses rigoureusement pas naturelles : les animaux diurnes se lèvent avec le soleil, pas avant, le café est issu d'une plante qui ne pousse pas en Europe, son grain a été grillé artificiellement, le liquide où il a été déversé a été réchauffe artificiellement, le sucre est issu d'un processus industriel complexe qui, avec d'énormes machines l'a extrait de betteraves sucrières, ou de canne à sucre, la tasse a été cuite à plusieurs centaines de degrés dans un four spécial et à deux reprises : une pour la terre glaise sèche l'autre pour l'émaillage. J'ajoute que le sucre a été mélangé avec une cuillère, invention humaine. L'arbre à cuillères n'existe pas. Cuillère fabriquée avec du métal extrait des profondeurs de la terre et transformé à très haute température et sous une très haute pression en feuilles estampées et découpées pour en faire des cuillères. Et c'est en usant de ce ramassis de choses parfaitement artificielles : réveil-matin, café importé et grillé, eau réchauffée, sucre raffiné, tasse en terre-cuite émaillée, cuillère en métal... que ces naïfs invoquent la présence ordonnatrice de la « Nature » pour justifier leur souhait de baiser en masses les nanas ! Et d'ajouter que la baise tout azimuts c'est aussi la « Nature » de tous les hommes en général ! Laissez-moi rire si les conséquences de ces idées n'étaient pas ignobles et tragiques !

Il n'y a pas que des hommes qui profèrent de pareilles inepties. Un jour, comme je disais à une amie que je n'éprouvais pas spécialement l'envie de baiser les dames et demoiselles, elle s'est empressée de me dire très naïvement : « tu es peut-être homosexuel ? » Bien sûr ! Si un homme n'obéit pas au schéma du baiseur obligatoire, il est soit un baiseur qui s'ignore, soit un homosexuel. Il doit soit se faire soigner, soit assumer son homosexualité ! Ou alors il a « un petit appétit » et d'autres ont « un grand appétit »... Ce serait une question d'ordre personnel. Et si la chose se présentait en fait tout autrement ?

Dans notre belle société pas libre du tout on est sommé de baiser, si on est « un homme ». C'est le nec plus ultra du patriarcat. La queue comme organe de domination et de pouvoir. Ne dit-on pas dans notre belle langue française quand un homme introduit son pénis dans le vagin d'une femme qu'il « la prend », « la possède », voire « la baise » ? Et si sa queue n'est pas techniquement au rendez-vous il est « impuissant », la honte ! S'il n'a jamais baisé, c'est un malheureux « puceau » frustré... Et si un homme est courageux « il a des couilles », ou « il en a »... discours inepte qui conduit à dire ensuite quand une femme est courageuse qu'elle a des couilles.

Bizarrement quand un homme fait l'acte, il « honore » la femme... Un homme pourtant intelligent par ailleurs, me disait il y a quelques dizaines d'années : « si tu rencontre une femme, il faut chercher à la draguer, même si tu n'en a pas envie, sinon elle sera vexée... » Demandez aux femmes harcelées sexuellement tous les jours ce qu'elles pensent de ce très intelligent conseil !

Revenons-en à moi. Je disais qu'on m'avait inoculé le poison du patriarcat. Quand et comment ça s'est passé ?

J'avais vingt-deux ans. Nous étions en 1973, durant ces fameuses années soixante-dix tant vantées par certains comme celles de « la Révolution sexuelle ». J'étais étudiant et n'envisageais nullement de mettre mon pénis dans un orifice naturel d'une demoiselle. Ça baisait à couilles rabattues autour de moi, je ne m'en rendais pas compte. La raison de cette myopie était, je ne m'en suis rendu compte que plus de quarante ans après, que j'ai grandi dans une famille très fermée où mes parents étaient très amoureux l'un de l'autre. Résultat : sans l'analyser, je ne voyais pas qu'il pouvait exister d'autres genres de relations privilégiées entre une dame et un monsieur. D'autant plus que je vivais dans une famille très puritaine. On ne parlait pas de ça à table. Le sexe était un sujet tabou. C'était bien simple : il n'existait pas. Ma sexualité se résumait à quelques photos dites « de charme », la masturbation, et quelques élans sexuels coupables, forts modérés et interdits en direction de ma sœur. Je ne souffrais pas d'ignorer l'acte qui passionnait la plupart des mâles autour de moi.

Ma mère et notre médecin de famille décidèrent d'y mettre bon ordre. Il fallait que ça change ! Me changer. Pire : que je me change moi-même. Ils ont très certainement discuté leur plan en mon absence. Il s'agissait de « me déniaiser ». Ces bons Samaritains n'allaient pas faire appel au moyen traditionnel : les prostituées. Quand le papa emmenait son fils au bordel, et hop ! à treize ans, grâce à une déniaiseuse professionnelle il devenait... un homme (?) On était dans les années 1970... et mon papa n'allait pas au bordel. Il existait d'autres solutions. Comment allait procéder nos deux conspirateurs ? D'abord en me propagandant. En me bourrant la tête à leur façon. Bref, en me manipulant. J'accompagnais ma mère chez notre médecin de famille qui habitait et recevait ses clients cité Vaneau, dans le septième arrondissement de Paris. Je ne me doutais de rien. J'étais très naïf. On allait consulter le docteur pour je ne sais quelle vague raison.

Et quand nous nous sommes retrouvés à trois, soudain on a abordé, comme si de rien n'était, le fait qu'il me manquait « quelque chose ». En termes aimables et mesurés, usant de toute son autorité de médecin, le « bon docteur » a expliqué qu'il fallait que j'en passe par là. La preuve c'est que nerveusement ça me manquait, m'a-t-il fait remarquer en indiquant que j'avais, les jambes croisés, la réaction nerveuse consistant à agiter mon pied de dessus d'un mouvement rapide et incessant. Voilà pourquoi je devais absolument et sans tarder mettre ma queue dans le con d'une demoiselle. Bien sûr, les mots utilisés étaient des mots neutres et pas « con » ou « queue ». Le programme parasite venait d'être installé dans ma tête. Le patriarcat allait se développer dans ma tête, chapitre « cons » et « nanas ».

J'étais convaincu de la nécessité de baiser comme on l'est de prendre un vaccin ou un clystère. C'était la baise sur ordonnance. On m'avait convaincu que j'en avais besoin pour raisons médicales.

Pour la suite, il a fallu encore me manipuler. J'étais étudiant et avais bien rigolé et un peu bavardé une ou deux fois avec une jeune fille. J'ignorais son adresse et ne m’inquiétais pas de la connaître. Quand je l'ai revu allant à une manifestation ensemble avec ma mère, cette dernière m'a dit de demander son adresse à cette copine. Sans comprendre que j'étais manipulé, je me suis exécuté.

Et ainsi, de fil en aiguille, le plan concocté par les deux apprentis-sorciers s'est mis en place. J'étais tellement naïf et confiant que je ne voyais pas le scénario. Qui était, comme je le vois seulement aujourd'hui, parfaitement fabriqué par ma mère, notre docteur, et avec l'approbation du petit cercle familial. On me jetait dans les bras d'une vague copine afin de faire sauter ma virginité.

Pour en finir avec ladite virginité, on m'a encouragé à partir en vacances en camping avec ma déniaiseuse désignée. Quand je voyais arriver le moment où la chose allait m'arriver, je me disais résigné avant mon départ en vacances : « il faudra bien en passer par là ». Le plan concocté par ma mère et notre médecin de famille allait se réaliser. Les mâchoires du piège allaient se refermer.

Ma déniaiseuse désignée et moi sommes partis en vacances pour camper en Autriche, sur une prairie inclinée près du village de Zell-am-Moos, pas loin du lac de Mondsee. On est resté deux mois dont à un moment donné là-bas en pleine période électorale. De très grandes affiches d'un parti d'extrême-droite apposées sur certains murs proclamaient à cette occasion que l'avortement devrait être passible de la peine de mort : todesstrafe, un mot que j'ai alors retenu. Tod, c'est la mort.

Nous avions pris une vieille tente qui se révéla toute pourrie. Une fois arrivée et celle-ci plantée, ma copine m'a annoncé avoir oublié exprès son sac de couchage. Ceci afin de partager le mien.

Le premier soir arriva et je partis faire mon devoir comme un parfait petit automate programmé.

Cette histoire a été si bien machiné dans le cadre patriarcal de notre société, cadre toujours dominant et dont je m'échappe à présent, que je suis un peu gêné au moment de « révéler » cette histoire vieille de bientôt presque un demi-siècle. C'était au mois d'août 1973.

Le huis-clos sexuel a aussi pour rôle non de « protéger l’intimité », la « pudeur » la « vie privée », mais de protéger la poursuite du triste et puant règne du patriarcat sanglant, meurtrier et pourri.

Arrive le premier soir. Campeurs novices, nous n'avons pas prévu d'éclairage. Bon, il va falloir mettre le truc dans le machin. Dans l'obscurité je déshabille la copine. Puis m'allonge sur elle, qui est étendue sur le dos. Et entreprend de me déshabiller. A quoi je pense à cet instant-là ? Et bien que l'acte que nous allons faire pourra mettre enceinte la jeune fille. Mais que j'aurais alors neuf mois pour chercher et trouver un travail pour nourrir ma famille. De désir ? Point, juste une érection, ce qui ne signifie en fait rien. On peut bander sans désir de baiser, très simplement parce qu'on éprouve du plaisir ou un état de proximité avec une demoiselle. Pour que l'érection ait un rapport avec l'acte sexuel, il faut qu'elle aille de pair avec un sentiment très particulier de faim précise de l'acte. Toutes choses que j'ignore alors et ne comprendrais que des décennies plus tard.

Au moment où ayant fini d'ôter tous mes vêtements excepté mon slip, j'entreprends de commencer à l'enlever, ma partenaire m'interromps. Elle m'annonce qu'avant de faire ça, il serait mieux qu'elle prenne la pilule.

Et voilà qu'elle m'apprend qu'elle a déjà eu un amant avant moi. Et que le père de la demoiselle homme intelligent et avisé lui a procuré une contraception orale.

Mireille, j'arrête ici d'avoir peur de la nommer, faisait partie des premières a bénéficier de la contraception orale en France. Celle-ci avait été légalisée par la loi Neuwirth en 1967. Mais les décrets d'application ne sont sortis que sept ans plus tard. Entre-temps, pour se procurer la pilule il fallait connaître un membre du corps médical, une infirmière, par exemple. Car on ne la trouvait pas en pharmacie.

Mireille m'explique qu'il faut attendre quelques jours pour qu'elle prenne sa contraception. Et j'ai alors témoigné de ma bêtise patriarcale en lui faisant une scène de jalousie rétroactive : je lui ai dit entre autres que je ne pourrais plus jamais lui faire confiance. À quoi je réagissais ainsi ? À ce que ma copine avait déjà eu avant moi un petit ami. J'ai été très con. J'ai aussi été intelligent, car j'ai arrêté la réalisation de l'acte projeté, pour attendre le délai demandé par Mireille.

Quelques jours ont passé. Et le mardi 21 août 1973 la voie était libre.

On recommence à se mettre en place. Cette fois-ci j'enlève mon slip. Cherche, dans la très classique position du missionnaire, à faire ce que je crois avoir à faire. N'arrive pas à trouver l'entrée. Après quatre ou cinq tentatives infructueuses, renonce. Puis nous nous endormons.

Le lendemain matin Mireille prend la situation en main. Et invoquant les indigènes des îles Trobriand qui font l'acte la femme au dessus, l'homme en dessous, me chevauche. Met le truc dans le machin, remue vigoureusement et pas longtemps du tout et me fait éjaculer. Je n'ai pas ressenti plus que si ça avait été une très petite et médiocre masturbation. J'ai demandé après à Mireille ce qu'elle avait ressentie. Elle m'a répondu : « autant faire l'amour avec un bout de bois. » Abusés par la morale patriarcale, nous ne réalisions pas que sans désir réel nous n'avions pas fait l'amour. Nous avons juste réalisé une double masturbation intravaginale. Il n'y a eu aucune tendresse particulière dans notre séance de gymnastique matinale. On a été aussi nul hélas que bien des gens dans leur vie. Je n'ai appris l'existence du clitoris que cinq ans plus tard. Mireille ne m'en a pas parlé.

L'aventure programmée avec Mireille a duré six mois et ensuite s'est terminée. J'ai pris l'habitude de mettre le truc dans le machin et remuer et éjaculer ensuite. À part une fois, c'était plutôt nul, mais j'en ai pris l'habitude et en est né un faux besoin. À partir de cette histoire le virus du patriarcat m'avait été inoculé. Il y en avait déjà des éléments inoculés en moi. Là j'ai fait une surinfection.

Après Mireille il était devenu évident pour moi qu'il me fallait trouver quelqu'un avec qui faire l'acte. Cette manière de penser la chose est une parfaite et dévastatrice ignominie. On ne doit faire l'acte que si désir effectif il y a et bonnes conditions pour le faire. Sinon il faut absolument éviter de le faire. Mais l'état de baise permanente dont je parlais au début de ce texte est un état partagé par des millions d'individus confits dans le patriarcat. Des femmes y compris sont d'accord.

Les hommes et femmes patriarchisés croient qu'il est sain et juste de décider de baiser. Ils en font une décision intellectuelle. Ils ont tout faux en agissant ainsi. Le déraillement est même très visible. Une fois que deux individus se retrouvent dans l'intimité à se faire de très chauds câlins arrive le moment où il faut mettre le truc dans le machin. C'est alors comme une sorte de petit théâtre aux gestes prédéterminés, réfléchis, programmés. Avec l'angoisse de ne pas y arriver. Ce n'est plus de l'amour spontané mais un travail à faire aboutir. On pense à l'instant d'après. On n'est plus dans l'instant présent. J'ai vécu ce genre de situations. D'autres font du coït un sport. Dans les années 1980, un ami étudiant parisien me disait tout fier de lui, parlant de sa façon de traiter les jeunes filles qu'il draguait : « je le fais six fois dans la nuit. » Le même me racontait qu'ayant dragué une jeune fille, celle-ci avait entrepris le soir au lit de lui confier les malheurs de sa vie. Commentant cette situation, le jeune homme me disait l'air visiblement excédé : « on n'est pas là pour ça ! »

Le patriarcat a fait de la queue un outil de pouvoir et domination de l'homme sur la femme. Pour être sûr d'avoir « le pouvoir » l'homme doit absolument baiser ou chercher à baiser la femme. En se conduisant ainsi l'homme précipite le désir et l'amour féminins dans la clandestinité. Une femme n'ose plus alors faire une caresse, toucher le sexe d'un homme qui lui plaît ou simplement dormir avec lui, sachant qu'elle devra alors automatiquement « passer à la casserole ». Et pour ce qui est de la tendresse nombre d'hommes mérite un zéro pointé. Ils ne pensent qu'à leur queue.

Oublier le patriarcat c'est pour un homme mettre sa queue de côté. Lui laisser sa juste place et pas plus. Aimer sans imposer. Caresser sans forcer. Embrasser sans exiger. Être un homme, un vrai, c'est quitter le moule étriqué du patriarcat. Quitter l'état de baise permanente. Regarder, écouter, apprécier les femmes à leur juste et immense valeur. L'amour n'est pas un produit de consommation, c'est la vie-même. Consomme-t-on la vie ? Non, on la vit, tout simplement. Pour un homme ou une femme, vivre, c'est aimer et être aimé vraiment. Ce qui ne peut se faire qu'en dehors du patriarcat.

Basile, philosophe naïf, Paris le 4 mai 2017

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire