mardi 2 janvier 2018

882 L'art de se dévaloriser

Ma mère était sculpteur. Mon père a longtemps été artiste peintre. Dans ma famille, mon frère aîné s'est déclaré photographe. Durant des années, à lui les références techniques, le matériel cher et sophistiqué. Moi, de mon côté, j'ai reçu en cadeau un appareil photo quand j'ai eu dix-sept ans. J'ai commencé à photographier. Mais pour moi le photographe de la famille restait mon frère aîné.

Et donc mes photos c'était juste des photos souvenirs, des photos de vacances. Elles ne pouvaient pas avoir d'intérêt artistique puisque le photographe de la famille c'était quelqu'un d'autre que moi.

Sans le réaliser consciemment, je suis resté fidèle à cette manière de ne pas voir les choses durant plus de quarante-neuf ans... Et voilà que, ayant accumulé des photos numériques, je me dis : « c'est dommage qu'elles restent dans un coin. Je vais en mettre une sélection sur un blog... »

C'est ce que je fais le trente décembre dernier. J'en mets en ligne une petite quinzaine et signale l'affaire à une amie. C'est là que, ô surprise, elle me dit que les ayant vues, elle les a trouvé bien. Même que certaines étaient jolies ! Pour la première fois de ma vie je me retrouve avec des compliments s'agissant de mes photos. Ça a débloqué quelque chose en moi. Au bout de deux jours j'ai réalisé que depuis presque cinquante ans, à propos de mes photos, je pratiquais l'art de la dévalorisation. Elles ne pouvaient pas être réussies, puisque le photographe de la famille c'était mon frère aîné.

Ce petit programme parasite installé dans ma tête fonctionnait depuis l'époque de mes dix-sept ans et même avant. Il me répétait : « artistiquement tes photos n'ont aucun intérêt. Elles ne valent absolument rien ». Ce programme, je l'ai débranché aujourd'hui deux janvier deux mil dix-huit.

Je viens de feuilleter quelques centaines de mes photos. Il y en a de très belles que je vais mettre en ligne. Et d'autres aussi, que je trouve simplement intéressantes. Avant, je ne le réalisais pas que des photos à moi étaient belles, vu le verrou intellectuel que je portais dans ma tête.

Les humains sont vraiment étranges. Nous réussissons à nous dévaloriser sans même nous en rendre compte et durant très longtemps.

C'est d'ailleurs un élément fondamental de la société. Des millions de gens se retrouvent gouvernés par une poignée de malins, ni forcément doués, ni forcément méchants. Mais surtout souvent maladroits et incompétents. Et pourquoi ces millions de gens agissent ainsi ? Parce qu'ils se dévalorisent. Et se disent : « nous ne sommes pas des hommes d'état. Les hommes d'état c'est eux, et pas nous. »

Exactement comme moi qui me disait : « le photographe ici c'est mon frère aîné, ce n'est pas moi. »

D'autres se disent : « je ne suis pas un artiste », « je ne sais pas chanter », « je ne suis pas capable de... » On nous apprend bien souvent à nous croire incapable. Combien de gens me disent à l'occasion : « je ne sais pas dessiner. » Alors que tout le monde sait dessiner un peu et peut apprendre. Malheureusement il existe en plus des personnes vaniteuses qui vont les décourager. « Vous ne savez pas » sera leur credo, leur leitmotive, leur slogan préféré. Vous ne savez pas, laissez faire les spécialistes ! Eux, ils savent. Ils savent quoi ? Si peu, bien souvent. Et tout le monde peut apprendre. Si vous vous mettez à dessiner vous ne deviendrez pas forcément Léonard de Vinci, mais vous pourrez déjà vous faire plaisir, faire plaisir aussi à d'autres. Ça en vaut la peine ! C'est exactement ce que je vais faire avec mes photos.

Basile, philosophe naïf, Paris le 2 janvier 2018

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