lundi 2 avril 2018

926 Blanches colombes et noirs et très vilains corbeaux

En France, en novembre 2017, une information propagée par les médias a défrayé la chronique. En région parisienne, un homme de trente ans a été acquitté par un tribunal qui le jugeait pour avoir eut à vingt-deux ans une relation sexuelle avec une fillette de onze ans. Le tribunal a déclaré la fillette consentante. Ce qui a provoqué de très vives protestations. Les commentateurs soulignant le fait que la fillette était un être pur et innocent, très loin de la sexualité. Et que les jurés de la cour d'assises avaient été d'un autre avis en prenant leur décision. Le parquet a fait appel à minima. J'ignore quelle suite a été ou sera donnée à cette affaire.

Cependant, beaucoup de commentaires indignés m'ont laissé songeur. Que ladite fillette était précisément un être pur et innocent et très loin de la sexualité est tout à fait possible. Que le jugement rendu témoigne d'une indulgence qui, dans ces conditions, ne paraît pas du tout justifiée, soit. Cela semble bien être ici le cas. Mais les commentateurs ajoutaient qu'en général toutes les fillettes de onze ans sont des blanches colombes. Et que quand elles rencontrent la sexualité, c'est le fait de noirs et très vilains corbeaux.

Devant ce blanc seing décerné aux fillettes de onze ans du monde entier je reste songeur pour une bien simple raison. Quand j'avais sept ans j'ai été violé par une fillette qui avait justement... onze ans. De cet incident, soixante ans plus tard, je ne me suis toujours pas totalement remis. Je conserve au fond de moi une peur panique des femmes que pourtant j'adore. Tout comme j'adorais ma sœur quand elle s'est très mal conduite avec moi.

Alors, quelle crédibilité accorder à ces décerneurs systématiques de brevets de pureté angélique à des êtres pas toujours aussi angéliques que ça ? Et pour approfondir un peu la question, j'ajouterai quelques éléments.

J'avais onze ans quand ma famille a reçu la visite d'une dame américaine accompagnée d'une petite fille également américaine et prénommée April. Elle était âgée d'environ neuf ans.

Elle a passé la soirée à me donner de force des baisers sur la bouche. Ce qui me dérangeait atrocement. J'en étais très mal à l'aise. Et voyant ça, mes parents et mes deux frères riaient, riaient... Je n'ai jamais revu April.

Comme je n'allais pas à l'école, en dehors de ma sœur c'était la première petite fille à laquelle j'avais affaire.

En 1964 j'avais treize ans. Ma famille et donc notamment moi habitions dans le deuxième atelier d'artistes au fond d'une cour du quatorzième arrondissement de Paris. De part et d'autre de cette cour, séparé à chaque fois par une grille, était une cour adjacente. Nous étions au numéro 28 d'une rue plutôt paisible. Les deux autres cours étaient respectivement celle du 26 et celle du 30.

Comme l'été je restais à prendre le frais dans la cour du 28, je ne me souviens pas comment, j'avais sympathisé avec des jeunes voisins du 30. Il y avait là trois sœurs, de treize, quinze et je crois dix-huit ans, un jeune garçon de onze ou douze ans et une fillette de six ans.

Je n'avais autant dire pas de contacts avec l'aînée des trois sœurs. Celle de treize ans m'attirait. Celle de quinze ans me séduisait. Il n'y avait rien entre nous. À l'époque j'avais déjà des érections humides et une sexualité réduite à la masturbation, que j'avais découvert tout seul. Et ne risquais pas d'en parler à qui que ce soit. C'était pour moi une activité honteuse et irrésistible à laquelle je m'adonnais régulièrement une fois par jour, très rarement deux, et toujours absolument en cachette.

Un jour que j'étais près de la grille séparant la cour du 28 de celle du 30, dans la cour du 30 la fillette de six ans vient vers moi. Elle prend un air bizarre et, en insistant, me demande d'approcher. Intrigué je m’exécute. Et voilà que subitement la main de la fillette jaillit à travers la grille et vient sur mon sexe ! Choqué, j'ai pris peur et suis parti en courant. Je me souviens que ma réaction immédiate a été une érection avec émission d'un peu de ce liquide que bien des décennies plus tard j'apprendrais être baptisé « pré-coïtal ».

Gêné et intrigué par cet incroyable incident complètement inattendu, j'ai regardé du côté de la cour du 30. L'appartement des trois sœurs et leurs parents avait ses fenêtres au quatrième ou cinquième étage.

C'est là que j'ai aperçu la sœur de mon âge, treize ans, qui regardait, installée à sa fenêtre. J'ai compris alors que c'était elle qui avait manigancé l'incident en demandant à la fillette de six ans de me toucher ainsi par surprise.

Je n'ai jamais rien dit à personne de cette agression sexuelle. À l'époque, j'ignorais jusqu'à la définition de ce qui venait de m'arriver.

Ça se passait quatre ans avant mai 1968 et son « interdit d'interdire ». Donc en 1964, très précisément. Depuis, le sexe a largement envahi bien des domaines de la société. Mais, comme on le voit ici, les agressions sexuelles, ici commises par des filles, existaient déjà bel et bien.

Les blanches colombes ne sont pas toujours aussi blanches que ça. Et les noirs et très vilains corbeaux ne sont parfois pas si noirs et si vilains qu'on le dit.

Ce texte est une contribution au débat sur les colombes et les corbeaux.

Basile philosophe naïf, Paris le 2 avril 2018

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